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Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/248

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LA REVUE DE PARIS

par un brusque retour de cette angoisse qu’ils avaient éprouvée l’un et l’autre au moment de laisser derrière eux le silence de l’estuaire déjà au pouvoir de l’ombre et de la mort. Et leurs bouches répugnèrent aux vaines paroles trompeuses ; et leurs âmes se refusèrent à l’effort de s’incliner par prudence vers ces ornements passagers de la vie de fête, qui ne pouvaient plus maintenant avoir pour eux aucun prix ; et elles s’absorbèrent dans la contemplation des étranges figures qui surgissaient de leur propre abîme intérieur avec des aspects inconnus de monstrueuse richesse, tels ces entassements de trésors que les éclats de lumière faisaient voir au fond de l’eau nocturne.

Mais, dès qu’ils se turent comme à la minute où ils arrivaient près du vaisseau amenant son pavillon, ils sentirent peser plus gravement sur leur silence la présence de la musicienne, de même qu’alors son nom avait plus gravement résonné à leurs oreilles ; et, peu à peu, cela devint un poids intolérable. Bien que Stelio fût assis près de ses genoux, elle ne lui paraissait pas moins distante que tout à l’heure dans la forêt des instruments : distante et inconsciente, comme tout à l’heure dans la félicité du chant. Elle n’avait pas encore parlé.

Rien que pour l’entendre parler, Stelio lui demanda, presque timide :

— Resterez-vous quelque temps encore à Venise ?

Il avait cherché les paroles qu’il lui dirait ; et toutes celles qui s’étaient présentées à fleur de lèvres l’avaient troublé, lui avaient paru pleines d’ambiguïtés, trop vives, insidieuses, capables de propagations infinies, comme les semences ignorées d’où naissent mille racines. Et il lui avait semblé que Perdita ne pourrait entendre aucune de ces paroles sans que son amour, à elle, en demeurât plus triste.

Alors seulement après avoir prononcé la question simple et banale, il s’aperçut que cette phrase même pouvait recéler un infini de désir et d’espérance.

— Je partirai demain, répondit Donatella. Je devrais déjà ne plus être ici.

Sa voix, si limpide et si forte dans les hauteurs du chant, était égale, sobre, comme embuée d’une opacité légère, qui faisait penser au plus précieux des métaux enveloppé dans