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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/725

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LA SÉPARATION DES POUVOIRS

Louis XVIII à établir ce régime. La charte de 1814, malgré les mots puissance exécutive et législative entrés définitivement dans la langue, régla les attributions des pouvoirs souverains d’une façon fort peu conforme à la théorie. « Au roi seul appartient la puissance exécutive. La puissance législative s’exerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs et la Chambre des députés des départements. » Les ministres peuvent être membres de la Chambre et sont responsables. Le « pouvoir judiciaire » dont le nom figurait encore dans la déclaration de Saint-Ouen, a disparu dans la charte ; il est remplacé par « l’ordre judiciaire », organisé suivant un principe directement opposé à la doctrine des trois pouvoirs : « Toute justice émane du roi. Elle s’administre en son nom par des juges qu’il nomme et qu’il institue. » Le gouvernement conservait la justice administrative des conseils de préfecture et du conseil d’État, si décriée mais si commode : créée en 1790 au nom de la séparation des pouvoirs, elle se justifiait désormais par la réunion des pouvoirs exécutif et judiciaire dans la personne du roi.

Sous la pression des Alliés et de l’opinion libérale, Louis XVIII avait transplanté en France le régime anglais de la collaboration et de l’action réciproque des pouvoirs : la nouvelle constitution française reproduisait fidèlement son modèle : décision collective des lois et du budget, droit du roi de convoquer et de dissoudre la Chambre, droit des ministres de siéger à la Chambre, droit des Chambres de mettre en accusation les ministres, tout l’appareil nécessaire pour obliger les pouvoirs à opérer en commun et leur donner en cas de conflit les moyens de se contraindre mutuellement. Elle copiait même les traits accessoires, l’hérédité de la Chambre haute, le discours du trône, l’adresse des Chambres au roi.

Les petits souverains qui se risquèrent à donner une constitution à leurs sujets, le roi des Pays-Bas, les princes de l’Allemagne du Sud, copièrent à leur tour la charte française. Toutes les grandes monarchies, Autriche, Prusse, Russie et la plupart des petites conservèrent l’absolutisme, ou pur, ou faiblement tempéré par des assemblées provinciales. La séparation des pouvoirs disparut du droit public de l’Europe.

Il sembla par contre qu’elle allait, sous la forme fédérale,

15 Février 1895.
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