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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/29

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la revue de paris

Le docteur me dit brusquement :

— Les voyez-vous depuis votre enfance ?

Je devinai qu’il supposait, au fond, quelque désordre survenu plus ou moins récemment dans mon organisme :

— Depuis mon enfance ! répliquai-je avec énergie… Je vous fournirai toutes les preuves désirables.

— Les voyez-vous maintenant ?

— Je les vois… le jardin en contient un grand nombre…

— Où ?

— Sur le chemin, dans les parterres, sur les murailles, dans l’atmosphère… car vous saurez qu’il en est de terrestres et d’aériens… et aussi d’aquatiques, mais ceux-ci ne quittent guère la surface de l’eau.

— Sont-ils nombreux partout ?

— Oui, et à peine moins nombreux en ville qu’aux champs, dans les habitations que dans la rue. Ceux qui se plaisent à l’intérieur sont pourtant plus petits, sans doute à cause de la difficulté de passer, encore que les portes de bois ne leur soient pas un obstacle.

— Et le fer… la vitre… la brique…

— Leur sont imperméables.

— Voulez-vous m’en décrire un… plutôt de grande taille ?

— J’en vois un près de cet arbre. Sa forme est fortement allongée, assez irrégulière. Elle est convexe vers la droite, concave vers la gauche, avec des renflements et des échancrures : on pourrait imaginer ainsi la projection d’une gigantesque larve trapue. Mais sa structure n’est pas caractéristique du Règne, car la structure varie extrêmement d’une espèce (si l’on peut employer ici ce mot) à une autre. Son infime épaisseur est, en revanche, une qualité générale à tous : elle ne doit guère dépasser un dixième de millimètre, alors que sa longueur atteint cinq pieds et sa plus grande largeur quarante centimètres. Ce qui le définit au suprême, et tout son Règne, ce sont les lignes qui le traversent, un peu en tous sens, terminées par des réseaux qui s’affinent entre deux systèmes de lignes. Chaque système de lignes est pourvu d’un centre, espèce de tache légèrement renflée au-dessus de la masse du corps, et quelquefois, au contraire, creusée. Ces centres n’ont aucune forme fixe, tantôt presque circulaires ou