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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/388

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LA REVUE DE PARIS

Et n’y avait-il pas aussi une amante qui n’était plus jeune, qui avait déjà le pied dans l’ombre et à qui restaient seulement quelques pas à faire pour disparaître ? — Plus d’une fois, elle fut tentée de contredire par un acte violent sa résignation.

Alors elle tremblait devant la possibilité de retomber dans l’horreur, d’être reprise par l’horrible furie, d’être à nouveau terrassée par le monstre insidieux qui n’était pas mort mais qui, toujours vivant, guettait dans l’obscurité le moment de bondir. Semblable à la pénitente, elle multipliait contre le péril sa ferveur, endurcissait sa discipline, aiguisait sa vigilance. Elle répétait avec une sorte d’ivresse l’acte de suprême renoncement qui avait surgi du fond de sa misère à l’aspect du feu purificateur : « Il faut que tu aies tout. Je serai contente de te voir vivre, de te voir jouir, Et fais de moi ce que tu voudras ! »

Lui, alors, il l’aima pour les visions inattendues qu’elle faisait naître dans son âme, pour le sens mystérieux des événements intérieurs qu’elle lui communiquait par ses aspects changeants. Il s’étonna que les lignes d’un visage, les allures d’un corps humain pussent toucher et féconder si fortement l’intellect. Un jour, il frissonna et pâlit en la voyant entrer de son pas silencieux, le visage composé dans une douleur extraordinairement calme, aussi sûre que si elle arrivait des profondeurs de la Sagesse, de là où toutes les agitations humaines semblent un jeu des vents sur la poussière d’une route sans fin.

— Ah ! c’est moi qui t’ai créée, c’est moi qui t’ai créée ! — s’écria-t-il, trompé par l’intensité de cette hallucination, croyant voir son héroïne même apparaître sur le seuil de la chambre lointaine qu’occupaient les trésors enlevés aux tombeaux des Atrides. — Arrête-toi une seconde ! Ne bats plus des paupières ! Tiens tes yeux immobiles comme s’ils étaient pétrifiés ! Tu es aveugle. Et tu vois tout ce que les autres ne voient pas. Et nul ne peut rien te cacher. Et ici, dans cette chambre, l’homme que tu aimes a révélé son amour à l’autre, qui en frémit encore. Et ils sont ici ; et leurs mains viennent de se disjoindre, et leur ardeur est dans l’air. Et la chambre est pleine de trésors funèbres ; et, sur deux tables, sont disposées