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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/413

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LE FEU

il s’aperçut que le seigneur ne l’écoutait plus et qu’il convenait de se taire et même de retenir son haleine.

— Tu entends le chant ? — dit Stelio à son amie en lui prenant doucement une main, parce qu’il regrettait d’avoir ravivé ce souvenir qui la faisait souffrir.

Elle releva son visage et dit :

— Où est-il ? Dans le ciel ? Sur la terre ?

Une mélodie infinie se répandait dans la blanche paix.

Elle dit :

— Comme il monte !

Elle sentit tressaillir la main de son ami.

— Lorsque Alexandre arrive dans la chambre lumineuse où la vierge a lu la lamentation d’Antigone, — dit-il, surprenant dans sa conscience un indice du travail obscur qui se poursuivait au fond de son mystère, — il raconte qu’il a chevauché dans la plaine d’Argos et qu’il a traversé l’Inachus, fleuve de cailloux brûlés. Toutes les campagnes sont couvertes de petites fleurs sauvages qui se meurent ; et le chant des alouettes remplit tout le ciel… Des milliers d’alouettes, une multitude sans nombre… Il raconte que, tout à coup, l’une d’elles est tombée aux pieds de son cheval, pesante comme une pierre, et qu’elle est restée là, silencieuse, foudroyée par son ivresse, pour avoir chanté avec trop de joie. Il l’a ramassée. « La voici ! » Alors, tu tends vers lui ta main, tu la prends, et tu murmures : « Oh ! elle est tiède encore… « Pendant que tu parles, la vierge tremble. Tu la sens trembler…

La tragédienne sentit de nouveau se geler la racine de ses cheveux, comme si, de nouveau, l’âme de l’aveugle fût entrée en elle.

— À la fin du Prélude, l’impétuosité des progressions chromatiques exprime cette joie grandissante, cette anxiété d’allégresse… Écoute ! écoute… Ah ! quelle merveille ! Ce matin, Fosca, ce matin je travaillais… ! C’est ma mélodie, la même, qui maintenant se développe dans le ciel… Ne sommes-nous pas en état de grâce ?

Un esprit de vie courait à travers la solitude, une aspiration véhémente rendait le silence ému. Il semblait que dans les lignes immobiles, dans les horizons vides, dans les eaux planes, dans les terres couchées, une volonté naturelle de