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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/61

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LE FEU

sence de son ami. Elle songea à la langueur de l’assoupissement, au sommeil qui s’attarde vers l’aube, quand la volonté voilée guide légèrement le rêve heureux. Elle désira la solitude, le repos, la chambre écartée et close, l’ombre des courtines pesantes. Brusquement, avec une anxiété impétueuse qui surgit de cette souffrance, comme pour fixer par un acte mental un fantôme sur le point de s’évanouir, elle ébaucha ces paroles, qui montèrent jusqu’à ses lèvres mais ne les remuèrent point : « Un fils, de toi ! »

Elle se tourna vers son ami et le regarda au fond des prunelles, toute tremblante. Sa pensée secrète flottait dans son regard comme une imploration et comme une désespérance. Elle parut chercher en lui avec angoisse un signe non révélé, un aspect inconnu, un autre homme. À voix basse, elle l’appela :

— Stelio !

Et sa voix était si changée qu’il tressaillit intérieurement et se pencha vers elle, comme pour lui porter secours.

— Mon amie ! mon amie !

Il voyait avec étonnement et avec crainte passer en elle ces larges ondes de vie, ces expressions extraordinaires, ces lumières et ces ombres alternantes ; et il n’osait parler, n’osait interrompre le travail occulte où s’agitaient les puissances de cette âme grande et misérable. Sous les paroles, il sentait la beauté et la tristesse des choses inexprimées, mais confusément ; et, malgré la certitude que quelque bien difficile allait naître d’une telle fièvre, il ne savait pas à quelle issue cet amour serait conduit par la nécessité de devenir parfait ou de périr. Il avait l’esprit dressé dans une attente merveilleuse, à se sentir vivre avec tant de ferveur en ces lieux oubliés, sur cette herbe chétive, le long de ce chemin silencieux. Jamais il n’avait eu en lui-même un sentiment plus profond de la force incalculable dont est doué le cœur de l’homme. Et, tandis qu’il entendait le battement de son propre cœur et devinait la violence de l’autre, il lui semblait entendre résonner les coups du marteau sur la dure enclume où se forge le sort humain.

— Parlez-moi encore ! dit-il. Rapprochez-vous encore de moi, chère âme ! Nul instant, depuis que je vous aime,