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LA REVUE DE PARIS

Malgré ses défaillances, malgré les imprudences que ses amis mêmes ne peuvent que déplorer, sa popularité auprès des masses n’a pas été atteinte. Si les classes riches, les conservateurs redoutent son caractère belliqueux, c’est cela même qui assure son ascendant sur le peuple. Cette démocratie, absorbée presque uniquement par les soins matériels, par le souci, qui s’empare de tous les hommes sur la terre américaine, de « faire de l’argent », se révèle à de certains moments extraordinairement idéaliste : Roosevelt lui apporte un idéal. À cette population hétérogène, où les émigrants, venus de tous les coins de la vieille Europe, submergent les vieux Américains, où les arrivés d’hier, qui seront les citoyens de demain, sont étrangers les uns aux autres et n’ont que des intérêts matériels pour les unir, il inculque sa foi dans la « nation américaine ». À ces émigrants récents, il déclare que les États-Unis ont le droit d’exiger que ceux qui viennent se faire une nouvelle vie et chercher le bien-être, n’aient plus pour drapeau que le drapeau étoilé ; il leur dit : « Soyez Américains. » Aux descendants des anciennes familles, qui, par snobisme ou par répulsion pour le caractère encore rude et le mercantilisme de leur peuple, tournent leurs regards vers le vieux monde et s’efforcent de s’européaniser, il dit de même : « Soyez Américains ; ne dédaignez pas votre pays, ne lui refusez pas le concours de votre activité, accomplissez loyalement votre devoir civique : reprenez aux politiciens la situation que, par négligence, vous leur avez abandonnée. »

Et, comme l’histoire ne plonge en Amérique que de courtes racines dans un passé récent, comme d’ailleurs elle ne pourrait qu’intéresser médiocrement des citoyens de la veille, Roosevelt, au lieu de parler du passé, tourne les regards de ses auditeurs vers l’avenir, il les convie tous à l’œuvre glorieuse, grandiose, de l’édification d’une nation ; il exalte leur enthousiasme en leur montrant dans les États-Unis la future puissance dominatrice du monde, le peuple-roi qui, à son tour, mettra son empreinte sur d’autres peuples, et répandra hors de ses frontières les idées d’égalité, de liberté et de justice.

Les États-Unis sont arrivés à ce moment inquiétant pour un peuple où il se sent entraîné dans une voie nouvelle :