Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 1, 1914.djvu/2

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l’inventeur. « Le geste et la parole sont des agents dont l’efficacité se traduit par son seul résultat, sans véhicule sensible… Cette causalité introduit dans l’imagination un élément nouveau, sui generis, irréductible aux phénomènes matériels, et cet élément, c’est l’élément spirituel, « ce qui agit sans corps » : la causalité interhumaine ou intersociale, sur laquelle se concentre dès lors, l’attention des individus les plus intelligents, relègue au second plan la causalité mécanique » (p. 151). L’homme se met à spéculer sur les mots, à les transfigurer en idées, à créer des systèmes religieux, à constituer, au temps de la Grèce antique, la science abstraite, lorsque les mots sur lesquels il spécule sont les mots dont il se sert pour compter. La métaphysique hellénique, la scolastique chrétienne, sont les dernières formes du développement de la spéculation rationnelle des Grecs. Viennent, en réaction contre Pythagore autant que contre Aristote ou saint Thomas, les temps modernes, où l’activité technique prend de nouveau, comme aux temps primitifs, le dessus sur l’activité spéculative de l’esprit humain. Les lecteurs de la Revue de Métaphysique et de Morale connaissent ce dernier chapitre du livre, où M. Louis Weber essaie de définir, à la lumière de sa philosophie de l’histoire, la crise actuelle de la pensée humaine, conflit non pas « entre la raison et la foi », mais entre la raison et la science ». « Le positivisme, sous toutes ses formes, ainsi que le pragmatisme récent sont des manières diverses d’exprimer le sentiment des difficultés où se débat la philosophie » (p. 290). ̃̃

Tel est, bien brièvement, trop brièvement résumé, ce curieux ouvrage. Nous ferions des réserves au sujet d’un chapitre où M. Louis Weber semble vouloir donner pour base à sa philosophie de l’histoire une prétendue loi physique du rythme universel. Nous doutons que « l’alternance des générations chez les mousses et les fougères » soit de nature a apporter la moindre confirmation aux vues sociologiques de l’auteur ; et nous nous référons volontiers, pour faire ces réserves, aux principes « criticistes » qui guidaient la pensée de M. Louis Weber dans ses précédents ouvrages. Mais, à vrai dire, cette théorie cosmologique du rythme offre-t-elle, dans le présent ouvrage, une telle importance ? La preuve que non, c’est que, dans notre analyse, nous avons pu faire sauter le chapitre, sans nuire, croyons-nous, à aucune des idées essentielles de M. Louis Weber. On pourra demander encore si M. Louis Weber a défini, avec toute la précision désirable, les deux formes d’activité intellectuelle qu’il oppose l’une à l’autre : s’agit-il d’une différence de nature, ou seulement d’une différence d’orientation ? D’ailleurs, ces deux manifestations de notre activité, l’une intéressée, l’autre désintéressée, se soutiennent, s’appellent l’une l’autre ; et M. Louis Weber, qui le reconnait expressément, n’établit-il pas, afin de rendre sa philosophie de l’histoire plus frappante, une séparation trop radicale entre d’immenses périodes où l’une des deux tendances réussirait à complètement étouffer l’autre ? L’homme n’a jamais été plus technologique qu’aujourd’hui : a-t-il jamais été plus audacieusement spéculatif ? Mais ce sont ici des réserves plus que d’objections : elles ne nous empêchent pas d’être reconnaissants à M. Louis Weber pour avoir découvert une de ces oppositions de termes, ou de catégories, qui peuvent guider bien des recherches, éclairer bien des problèmes. Les sociologues discuteront sans doute la théorie suivant laquelle le phénomène, le « miracle » du langage serait à l’origine du phénomène religieux. Qu’il nous suffise, à nous qui ne sommes pas sociologues, de constater, en attendant, qu’elle mérite l’attention. Les réflexions de M. Louis Weber, dirions-nous volontiers, constituent une réaction utile contre, cette obsession du « social » qui, si elle envahissait toute la sociologie moderne, finirait par paralyser la science, après avoir, pour un temps, stimulé l’esprit de découverte ; elles constituent, dirions-nous encore si nous ne craignions de faire tort à l’originalité du livre, une tentative pour qualifier, sous l’influence d’idées pragmatistes, certaines exagérations du sociologisme durkheimien.

Les Principes de l’Analyse mathématique. Exposé historique et critique. Pierre Boutroux, t. I, 1 vol. in-8o de 544 p. Paris, Hermann, 1914. — L’important ouvrage que publie M. P. Boutroux comprendra deux volumes. Le tome premier vient de paraître. La Revue de Métaphysique consacrera une étude approfondie au travail de M. Boutroux après la publication du second volume. La présente note n’a donc pour but que de signaler au public philosophique et scientifique cet ouvrage considérable. Mathématicien éminent et pénétrant philosophe, nul n’était mieux préparé que M. P. Boutroux pour entreprendre un exposé historique et critique des théories mathématiques élémentaires. On a longtemps