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Page:Revue des Deux Mondes - 1830 - tome 4.djvu/284

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CORRESPONDANCE ET VARIÉTÉS.

titude de fleurs et d’herbes odoriférantes, avec ses belles rues ombragées d’arbres. Dix fois j’allai me promener dans les jardins fameux de Constance. J’ai vu des Hottentots, des Boschismans et des Cafres, et pour la première fois une habitation coloniale régie par le fouet d’un commandeur.

Du Cap je saute à l’île Bourbon, où je restai trois semaines, d’où je passai quelques jours à l’île de France, qui m’a rappelé un faubourg de Paris. À Bourbon, j’ai été témoin du commerce infâme de l’homme vendu ou acheté par l’homme ; la traite s’y fait toujours ; des spéculateurs féroces viennent la nuit débarquer les noirs le long des côtes, au signal des fanaux des Bourbonnais. J’ai parcouru cette île ; j’ai vécu dans la cabane du noir de Mozambique et de Madagascar ; j’ai joué avec lui sur la bobe, au retour de son travail, et j’ai pris le repas de riz avec sa femme et ses enfans.

Je passais à Bourbon pour un envoyé de Benjamin Constant ou de l’abbé Grégoire, parce que je m’apitoyais sur le sort de mes semblables qui travaillent sous le fouet pour enrichir des Desbassyns et des Villèle. Le sieur Desbassyns est propriétaire de quatre cents noirs, il les fouette lui-même. De jolies mulâtresses avec de belles robes, des bijoux, marchent nu-pieds dans les rues. Je m’adressai un jour à une, et voulus lui donner une paire de souliers ; les blancs le défendent sous peine de cinquante coups de fouet, fut sa seule réponse, et elle partit en pleurant. Il y a soixante-dix mille noirs ici : qu’ils se lèvent donc !…

Je partis de l’île Bourbon le 20 décembre, et nous allâmes sur les côtes de Madagascar pour nous y approvisionner, car à Bourbon la viande vaut 20 sous la livre, et une poule vaut une piastre ou 5 francs, une dinde 35 francs.

Après trente-quatre jours d’une navigation fort agréable et fort douce sur les eaux paisibles de l’Océan indien, j’arrivai en rade de Pondichéry. Nous coupâmes de nouveau l’équateur par les 90 degrés, non loin des côtes de Sumatra, parce que nous fûmes obligés de prendre la mousson du