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Page:Revue des Deux Mondes - 1830 - tome 4.djvu/413

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LE PETIT SOUPER.

homme qui fût au-dessus de son siècle ! Le duc d’Albe était une âme de bronze ; Henri iv, un soldat joueur et libertin, mais qui avait un cœur excellent ; l’Amiral, un entêté systématique. Louis xi était venu trop tôt, Richelieu trop tard. Vertueuse ou criminelle, que l’on m’attribue ou non la Saint-Barthélemi, j’en accepte le fardeau ; car alors je resterai entre ces deux grands rois comme l’anneau visible d’une chaîne inconnue. Quelque jour des écrivains à paradoxes se demanderont si les peuples n’ont pas quelquefois prodigué le nom de bourreaux à des victimes. Ce ne sera pas une fois seulement, que l’humanité préférera d’immoler un dieu plutôt que de s’accuser elle-même. Vous êtes portés, tous, à verser sur deux cents manans les larmes que vous refusez aux malheurs d’une génération, d’un siècle ou d’un monde, et vous oubliez que la liberté religieuse, la liberté politique, la tranquillité d’une nation, la science même sont des présens pour lesquels le destin prélève des impôts de sang !

— Les nations ne pourraient-elles pas être un jour heureuses à meilleur marché ?… m’écriai-je les larmes aux yeux.

— Les vérités ne sortent de leurs puits que pour prendre des bains de sang… Le christianisme lui-même, essence de toute vérité, puisqu’il vient de Dieu, s’est-il établi sans martyrs ? le sang n’a-t-il pas coulé à flots ?…

Sang ! sang ! ce mot retentissait à mes oreilles comme un tintement.

— Selon vous, dis-je, le protestantisme aurait donc eu le droit de raisonner comme vous ?…

Catherine avait disparu, comme si un souffle eut éteint la lumière surnaturelle qui permettait à mon esprit de voir cette figure dont les proportions étaient devenues gigantesques. Alors je trouvai en moi une partie de moi-même qui adoptait les doctrines atroces déduites par cette Italienne. Je me réveillai en sueur, pleurant, et au moment où ma raison victorieuse me disait d’une voix douce, qu’il n’appartenait ni à un roi ni même à une nation d’appliquer ces principes dignes d’un peuple d’athées.