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L’ENFANT MAUDIT.

tomba insensiblement dans une rêverie dont elle n’eut pas la force de combattre la douceur enivrante.

En un instant, par une de ces intuitions d’âme qui participent de la puissance divine, elle fit passer rapidement devant elle les ravissantes images du bonheur qui n’était plus.

Elle aperçut d’abord faiblement, et comme dans la lointaine lumière de l’aurore, le modeste château où son insouciante enfance s’était écoulée, la pelouse verte, le ruisseau frais, la petite chambre, théâtre de ses jeux. Elle se vit cueillant des fleurs, les plantant, et ne devinant pas pourquoi elles se fanaient sans grandir, malgré sa constance à les arroser.

Bientôt lui apparurent, confusément encore, la ville immense et le vieil hôtel de pierre où elle fut conduite à sept ans. Alors sa railleuse mémoire lui montra les vieilles têtes de tous les maîtres qui la tourmentèrent. Puis, à travers des mots d’italien et d’espagnol, en écoutant, dans son âme, des romances et les sons d’un joli rebec, elle se rappela la personne de son père : au retour du parlement, il descendait de sa mule à l’aide d’une grande pierre, montait lentement l’escalier, et ne déposait les soucis judiciaires qu’en dépouillant la robe noire ou rouge dont elle, espiègle et rieuse, avait, un jour, coupé la fourrure blanche mélangée de noir. Elle ne jeta qu’un regard sur le confesseur de sa mère, homme rigide et fanatique, chargé de l’initier aux mystères d’une religion terrible. Là elle se souvint d’avoir commencé à trembler. Ce vieux prêtre insensible, secouant les chaînes de l’enfer, ne lui parlant que des vengeances célestes, lui persuadant qu’elle était toujours en présence de Dieu, la rendait faible et craintive. Elle devenait timide, recueillie, n’osait lever les yeux, et n’avait plus que du respect pour sa mère, qui, jusqu’alors, avait partagé ses folâtreries. De ce moment une religieuse terreur s’emparait de son jeune cœur quand elle voyait cette mère bien-aimée arrêtant sur elle ses yeux bleus avec une apparence de colère.

Elle revit tout à coup la seconde époque de son enfance