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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/140

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telle distance, que cette liberté momentanée ne leur laisse aucune espérance d’évasion, et les expose encore aux Indiens des régions plus reculées.

Les feux de la nuit trahiraient la marche de la Indiada ; aussi ont-ils soin de faire sécher au soleil des tranches de viande dont chacun porte une abondante provision. D’abord ils marchent lentement, pour ne pas fatiguer leurs chevaux, plutôt la nuit que le jour, surtout pendant les chaleurs, et leurs précautions augmentent à mesure qu’on approche des habitations. Le cacique a un pouvoir absolu sur son armée, et règle les heures de halte, et l’ordre de bataille. Ainsi s’avance cette horde silencieuse à travers des plaines immenses comme les steppes de l’Asie. Ils vont droit à leur proie, avec l’instinct du vautour, car moins l’intelligence humaine est développée, et plus elle participe de l’infaillibilité de la brute ; sans compas ni boussole, ces hommes sauvages arriveront juste au point nommé. Les longues lances de roseau laissent flotter au vent leurs touffes de plumes d’autruche ; le sabre sans gaîne, fabriqué peut-être dans les arsenaux de Grenade, est passé sous les sangles de la selle ; le visage des guerriers est barbouillé de sang ; à leurs oreilles pendent de larges boucles d’argent, débris de riche vaisselle enlevée dans les incursions ; les femmes suivent aussi à cheval, les cheveux tressés ou retenus par un bandeau, et parfois dans les plis de leur poncho dort un enfant à la mamelle : c’est une grande fête pour tous les membres de la tribu, et les femmes ont aussi leur poste pendant et après le combat.

C’est ordinairement une ou deux heures avant le lever du soleil que commence l’attaque. Alors les gauchos dorment tranquilles sur le recado ; les chiens, fatigués de veiller, se couchent aux pieds de leurs maîtres ; les chevaux sont rassemblés au corral, les bœufs n’ont pas encore quitté les rodéos où ils se réunissent chaque soir : il y a tant de paix et de silence dans ces latitudes de l’Amérique pendant les ténèbres de la nuit !

Tout à coup les Indiens se précipitent avec l’impétuosité de l’ouragan sur la première habitation qu’ils rencontrent, estancia ou rancho ; ils massacrent les hommes, enlèvent les femmes, saccagent, brûlent, torturent les prisonniers, brisent les madones, tandis que les femmes se tiennent à l’arrière-garde pour rassem-