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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/146

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REVUE DES DEUX MONDES.

et indépendant, dont la vie tout entière est employée à parcourir au galop, dans tous les sens, ces vastes solitudes.

Les pays un peu boisés sont moins exposés au pillage. Ce ne sont point de ces magnifiques forêts, si puissantes de végétation, comme dans les déserts du Brésil, mais des arbres serrés, des caroubiers aux branches épineuses et entrelacées, à travers lesquelles l’Indien n’ose guère s’aventurer, par la raison très simple que les troupeaux y sont disséminés, et difficiles à rassembler ; et puis d’ailleurs, une partie de la troupe pourrait s’égarer : revenir par la même route, ce serait se risquer à tomber dans une embuscade, et les fantassins auraient un avantage immense sur des cavaliers dépourvus d’armes à feu ; se frayer une nouvelle route retarderait beaucoup la retraite.

Nous avons vu les Indiens passer outre, si on leur résiste. Dans la province de Buenos-Ayres, la poste de Lima, près du village d’Arrecifé, est défendue par une petite muraille très basse, garnie, vers la partie qui regarde le désert, d’une pièce de canon : la plupart des habitations moins importantes sont protégées par une haie de cactus ; aux Alchîras, dans la province de San Luis, les habitans, harcelés par des incursions continuelles, se sont réunis au nombre de vingt à trente familles, et ce village a été entouré d’un rempart de terre, haut de quatre pieds, sur lequel sont rangés quelques vieux fusils évasés en forme de tromblons, montés sur des pivots : c’est là un fort.

Mais attaqués chez eux, ou poursuivis par une armée, les sauvages deviennent terribles ; ils savent qu’il n’y a point de quartier pour eux. Vers le mois de février 1833, cette même horde vagabonde, mise en déroute par trois hommes déterminés, à la porte du Lobaton, combattit vaillamment l’armée de Cordova, forte au moins de cinq cents soldats, mais la plupart miliciens levés à la hâte, peu habitués à se battre hors de leur pays. L’action se passa au pied du Morro, haute montagne en pain de sucre, hérissée de rochers, trouée de cavernes ; c’est la dernière cime de la Sierra de Cordova du côté du sud. Les gauchos racontent des histoires merveilleuses sur cette montagne, qui ne manque jamais de se mettre en colère à l’apparition des Indiens ou même d’un étranger.