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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/181

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LETTRES D’UN ONCLE.

regagne encore aujourd’hui, avec la vue de l’instinct et de la mémoire, la litière où elle mourra demain matin.

Eh bien ! Colette, tes beaux jours ne sont plus, mais on a fait une bonne action, en te conservant un coin et une botte de paille dans l’écurie. Qui t’a assuré cette bonne destinée de ne point être vendue au corroyeur comme tous les vieux chevaux ? le plus sacré des droits, l’ancienneté. Ce qui a été est quelque chose de respectable. Ce qui est est toujours sujet à doute et à contestation. D’où vient donc l’amitié qu’on a pour ton vieux maître ici ? Personne ne le connaît plus, il a disparu long-temps, il a voyagé au loin ; ses traits ont changé ; de ses goûts, de ses habitudes, de son caractère, on n’en sait plus rien, car il s’est passé tant de choses dans sa vie, depuis le tems où il était encore solide et fier ! Mais un mot simple et doux rattache à lui ceux qui pourraient s’en méfier. Ce mot, c’est autrefois. — Il était là, dit-on, il faisait ces choses avec nous, il était un de nous, nous l’avons connu, il allait à la chasse par ici, il cueillait des champignons dans le pré qui est là-bas, vous souvenez-vous de la noce d’un tel, et de l’enterrement de… ? — Quand on en est au chapitre des vous souvient-il, que de précieux liens d’or et de diamant rattachent les cœurs refroidis ; que de chaleureuses bouffées de jeunesse montent au visage et raniment les joies oubliées, les affections négligées ! On se figure souvent alors qu’on s’est aimé plus qu’on ne s’aima en effet, et à coup sûr, les plaisirs passés, comme les plaisirs qu’on projette, semblent plus vifs que ceux qu’on a sous la main.

Ah ! c’en est un bien pur, cependant, que de s’embrasser après une longue absence, en s’écriant : Te voilà donc, mon vieux ! c’est donc toi, ma fille ! c’est donc vous, ma nièce, ma sœur !

Ne me dis donc pas, mon ami, que je suis courageux, et que la gaîté que je montre est un effort de mon amitié pour toi et pour eux. Ne crois pas cela. Je suis heureux en effet, heureux par vous, malheureux par d’autres. Qu’importe ici ce qui n’est pas vous ? Crois-tu que je m’en occupe ? — J’y songe malgré moi, il est vrai ; mais pourquoi en parler, pourquoi le sauriez-vous ? Oh ! non, que personne ne le sache excepté les deux ou trois vieux qui ne peuvent se tromper sur le pli de mon sourcil. Mais que les autres ne con-