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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/185

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LETTRES D’UN ONCLE.

rant comme un enfant, et cherchant avec des pas timides à retrouver sa route, il saisit avec empressement les mains qui s’offrent à lui pour le guider. Ridicule, puérile et infortunée créature qui ne veut pas accepter la destinée, et ne sait pas s’y soustraire !

Ah ! ne nous moquons pas de cette condition misérable, c’est celle de tous, et tous nous savons que sa mesquinerie, que son manque de grandeur et de force ne la rendent que plus malheureuse et plus digne de compassion. Tant qu’on croit à sa force, on a de l’orgueil, et l’orgueil console de tout. On marche à grands pas et on fronce le sourcil avec un calme majestueux et terrible ; on a décrété qu’on mourrait le soir ou le lendemain matin, et on est si fier de cette grande résolution (que du reste un perruquier ou une prostituée sont tout aussi capables d’exécuter que vous et Caton d’Utique), on est si content de ne pas subir l’arrêt du sort et de le narguer, qu’on est déjà à demi consolé. On jouit d’une grande liberté d’esprit, et l’on s’en étonne ; on fait son testament, on songe à tout, on brûle certaines lettres, on en recommande d’autres à ses amis, on fait des adieux solennels, on s’estime, on s’admire, et on s’aime soi-même. Voilà le pire ; on se réconcilie avec soi, on se rend sa propre estime, et l’affection revient avec une admirable bonté se placer entre le soi héroïque et le soi expiatoire. Le sacrificateur, c’est-à-dire l’orgueil, fait alors peu à peu grace à la victime, c’est-à-dire à la faiblesse ; l’un s’attendrit, l’autre se lamente ; l’orgueil demande à la faiblesse si elle était bien sincère tout-à-l’heure, si elle avait bien l’intention de tendre la gorge au couteau ; l’autre répond que oui ; l’orgueil daigne y croire, et décide que l’intention est réputée pour le fait, que la honte est lavée, la fierté satisfaite, l’espoir réhabilité. Puis vient un ami qui sourit de votre dessein, mais qui feint, pour peu qu’il soit délicat et bon, d’en être épouvanté et de vous arracher l’arme meurtrière, ce qui, en vérité, n’est pas difficile… Hélas ! hélas ! ne rions pas de cela. Tout cela fait qu’on ne se tue pas, et qu’on vit, et qu’on cesse à la fin de se croire fort, et que l’orgueil tombe, et que la souffrance s’apaise, mais qu’il reste au fond de l’âme et pour jamais une tristesse muette, un abattement profond qui accepte toutes les distractions, mais qu’aucune distraction ne change, car ce qu’on croit, on le