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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/250

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REVUE DES DEUX MONDES.

part. La vie civile et la vie domestique ne lui épargneront ni les leçons ni les désappointemens. Étranger à l’action, il trouvera sur sa route des volontés envahissantes qu’il ne saura pas combattre. Inhabile à la résistance, il sera forcé de plier. L’inutile conscience de sa supériorité ne le soutiendra pas contre le choc de la société tout entière. Vainement se dira-t-il avec une fierté complaisante : Je vaux mieux que la foule ; la foule continuera de marcher, de cueillir les fruits suspendus aux branches fléchissantes, et ne lui laissera que les arbres dépouillés. Il saura le mécanisme des empires, et la vie politique se rira de ses ambitions. Il connaîtra les vents qui soufflent sur les côtes lointaines, et il n’aura pas dans sa patrie un abri sûr et commode. Il aura longuement réfléchi sur la production et la distribution des richesses, et il subira la pauvreté.

Force mutilée en présence de forces complètes, il sera traqué chaque jour entre les passions et les volontés qu’il a dédaignées. L’entraînement débordera sa prévoyance, l’action triomphera de son savoir. Il accusera l’injustice du ciel, quand il ne devrait maudire que lui-même. Il reprochera au Créateur de lui refuser l’accomplissement de ses rêves, et il ne s’apercevra pas que son intelligence a mesuré, dans ses oisives contemplations, la vie de plusieurs siècles.

Alors il tombera dans un désespoir inconsolable. Sa tristesse industrieuse inventera d’inépuisables tortures. Il sera puni cruellement de la solitude qu’il s’est faite. Il voudra ressaisir la crédulité qui excitait son mépris. Mais il sera vaincu par la défiance. Personne ne voudra croire à sa conversion, et l’on se gardera de son savoir comme d’une arme dangereuse. Il tentera la vie active comme un délassement. Mais les années impitoyables auront engourdi son énergie, et il ne pourra suivre la marche de l’armée.

Ainsi, comprendre sans aimer ni vouloir ne vaut pas mieux qu’aimer sans vouloir ni comprendre. Ni le bonheur ni le bien n’appartiennent à ce développement partiel des facultés humaines.

Reste la volonté, c’est-à-dire la plus éminente des facultés humaines, puisqu’elle sert de complément et d’organe aux deux autres. Or, il arrive souvent que la volonté se développe isolément, ou du