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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/254

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REVUE DES DEUX MONDES.

les œuvres de la nature ou les œuvres humaines sont plus belles ou plus singulières. Si parfois la singularité est prise pour la grandeur, l’illusion ne dure pas long-temps, et l’admiration ne s’enchaîne irrévocablement qu’au règne de l’ordre sur le mouvement. C’est pourquoi, dans l’histoire de l’invention, Raphaël est au-dessus de Salvator.

Inventer, exprimer la beauté, c’est donc tout simplement trouver et montrer l’ordre dans le mouvement. S’il est vrai que la réalité est et doit être constamment le point de départ du statuaire, du peintre et du poète, car le musicien et l’architecte n’ont rien à imiter, il n’est pas vrai, comme on l’a souvent répété, que la réalité contienne la beauté tout entière ; il n’est pas vrai qu’un nombre indéterminé de choses réelles, littéralement observées et reproduites, puisse, en s’additionnant, arriver à produire la beauté. Le réalisme, dans l’invention, mène droit à l’abolition du style. Envisagé comme une réaction accidentelle et passagère contre la dégénérescence des formes convenues, il peut avoir son utilité ; mais ce n’est tout au plus qu’un moyen ; et s’en tenir au réalisme, c’est méconnaitre d’emblée le véritable but de l’invention.

Pour inventer dans le marbre, sur la toile, ou avec la parole, il faut une étude attentive de la réalité ; mais cette étude, si complète qu’elle soit, prépare l’invention, et ne la rend pas nécessaire. L’action mystérieuse qui s’accomplit au sein de l’intelligence en présence du souvenir, et qu’on a nommée imagination, est soustraite en grande partie au pouvoir de la volonté. Imaginer, ce n’est précisément ni voir ni se rappeler, c’est quelque chose de tout cela, mais c’est plus que tout cela ; c’est apercevoir ce qui n’est pas, ce qui n’a jamais été, ce qui pourrait être ; c’est regarder face à face l’idée aperçue avec une foi vive ; c’est croire pendant quelques instans à la céleste vision comme à la vue réelle du monde qui nous environne.

Au-delà de l’inspiration involontaire et divine, réservée par une bienheureuse préférence à quelques intelligences élues, la conception et l’exécution, lentes, successives, volontaires, complètent les trois momens de l’invention, c’est-à-dire la totalité de la poésie.

Concevoir après l’inspiration, c’est régulariser le mouvement désordonné de la première intuition, c’est tracer les grandes lignes