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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/263

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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

tout entier avec des acteurs nombreux, des incidens multipliés, où l’analyse humaine est toujours ou presque toujours absente. Sous l’étreinte d’une volonté toute puissante, la langue a laissé jaillir de son sein des accens qu’on ne lui connaissait pas. Un temple sans dieu, des prêtres sans foi, des armures sans guerriers, qui nous eût dit que tout cela nourrirait la curiosité pendant deux jours ? qui nous eût dit que toutes ces créations sans ame parodieraient devant nous la vie qui leur était refusée ; qu’elles engageraient ensemble un simulacre d’action, et que nos yeux éblouis imposeraient silence à notre pensée ; que nous prendrions plaisir au spectacle comme des enfans à la lecture des contes de fées ; et qu’après une semaine d’étonnement, le plus grand nombre ne se plaindrait pas de la déception, et croirait naïvement à l’humanité de cette pourpre sans cœur ?

Eh bien ! ce qui semblait impossible a été et continue d’être. Ce réalisme épique compte déjà une multitude de disciples empressés. Il ne s’agit plus, pour cette école obéissante, de connaître la politique des rois, les passions qui les entraînaient aux périlleuses aventures ; il faut savoir, avant tout, quel écusson était placé à la porte du château, quelle devise inscrite sur l’étendard, quelles couleurs portées par l’amoureux baron. C’est là tout ce que le roman demande à l’histoire ; quant à l’enchaînement des épisodes, c’est chose futile et hors de propos. La succession singulière, inattendue, de scènes indépendantes, va beaucoup mieux à l’ostentation puérile de cette fastueuse épopée. L’intérêt, l’intérêt soutenu est chose trop difficile ; l’amusement, à la bonne heure ! et la foule accepte sans murmure un récit de mille pages, splendide comme une fête, mais comme elle aussi sans lendemain et sans souvenir.

Au théâtre, on le comprend sans peine, la beauté objective a presque la partie gagnée d’avance ; le machiniste et le costumier font la moitié des frais. Face à face avec un auditoire dont il connaît les instincts, le poète résolu à la poésie pittoresque ne perd pas son temps à poser les caractères, à nouer savamment les fils de l’action. Non ; il procède par une voie plus facile. Il prend dans le passé le premier nom venu. Il ne délibère pas long-temps avant de se décider, car il n’attache pas aux événemens mémorables d’un