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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/313

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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

alors les écrivains les plus renommés par leur verve ardente, ou ceux dont les pages scintillent de chapitre en chapitre, ou ceux dont l’invention turbulente se précipite sur un lit de rochers, ou ceux dont la tendresse efféminée creuse la plaie des passions au lieu de la guérir. Vous ne trouverez que sécheresse et aridité chez ces auteurs. Alors Voltaire afflige, Diderot fatigue, Tasse ennuie, Dante irrite. Alors on sent le prix et la valeur intime de ces solitaires, qui ont écouté leur ame et qui parlent à la vôtre ; ils descendent doucement dans les profondeurs de votre souffrance ; le baume qu’ils y répandent n’éveille aucune passion, ne fait vibrer aucune corde douloureuse. Les remèdes qu’ils indiquent sont presque toujours simples, faciles et d’un usage presque vulgaire. Lorsque je vivais dans une société étrangère, que mon pays n’existait plus pour moi ; que ces mœurs nouvelles m’oppressaient en m’environnant, que je déplorais amèrement la bizarrerie de mon sort, et le néant obscur de mon avenir ; dans ces jours de deuil que personne ne daigne comprendre, et qui nous pèseraient bien plus encore, si le monde en devinait le secret ; combien de fois m’est-il arrivé d’emporter avec moi l’écrivain ami, le volume consolateur ; le premier poète anglais auquel je me sois associé intimement, et qui m’ait révélé ce grand secret inconnu, la fraternité des pensées humaines, sous les mille variétés de la forme et du style : William Cowper ! Qu’il soit béni, William Cowper ! Les gens de Londres possédaient encore à cette époque (et je ne sais si leur réforme n’a pas détruit ce lieu charmant), ils possédaient encore, auprès de leur ville gigantesque, une forêt solitaire, peuplée de daims, qu’on laissait vivre et se multiplier en paix, avec un gazon bien haut et bien touffu, et de grands chênes semés sans ordre, d’un âge vénérable, de ces chênes anglais, dont la verdure est foncée et la végétation capricieuse. Entre la ville et ce lieu de retraite, se trouvait le vaste terrain du Hyde-Parck, si bien que l’on entendait au loin, comme le murmure sourd, d’une forge éloignée, le retentissement de la Babel de l’industrie, l’écho affaibli de la vie prosaïque, le bruissement des intérêts et des passions en conflit éternel. C’était là qu’il fallait lire Cowper, ce poète simple ; c’était là qu’il se faisait entendre au cœur. C’est là