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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/32

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REVUE DES DEUX MONDES.

peine, une petite chambre, donnant sur la place, pour quelques réaux par semaine.

J’eus bientôt à ma disposition, suivant l’expression du pays, toutes les maisons de la Bajada, et il me fut loisible de mettre ma tête à toutes les fenêtres et d’entrer par toutes les portes avec la certitude d’être accueilli de confianza, c’est-à-dire sans cérémonie, en ami. Il n’est pas hors de propos de dire ici la marche à suivre pour se rendre l’ami de tout le monde dans les petites villes de la République Argentine : elle est simple et d’un usage facile. Vous commencez, je suppose, par l’extrémité d’une rue, et vous vous arrêtez devant une maison qui ne donne aucun signe de vie ; alors vous criez, en grossissant votre voix : Ave Maria purissima ! — sin pecado concebida ! Pase Vind adelante[1], répond une voix de l’intérieur ; la porte s’ouvre, et une créature humaine paraît sur le seuil ; vous entrez, et comme le temps n’a pas l’ombre d’une valeur quelconque pour les habitans de la maison, vous restez quatre heures avec eux à fumer, à bavarder, et à manger des pastèques, si la saison le permet. Voilà déjà une maison à votre disposition. À la suivante, vous apercevez à la fenêtre une jeune fille qui regarde voler les mouches dans la rue. — Peut-on entrer, précieuse jeune fille (style espagnol) ? — Y porque no, senor ? pourquoi non, seigneur ? — Heureuse simplicité de l’âge d’or ! en effet, pourquoi pas ? Quel motif peut-il y avoir de refuser la porte à un homme qui a envie d’entrer ? Dans le cours de la conversation, faites-lui une de ces propositions hasardées qu’ailleurs on entoure de circonlocutions sans fin. — Pourquoi pas, seigneur ? répondra-t-elle encore. Vous continuez ainsi jusqu’à l’autre bout de la rue ; puis vous passez à une autre : et si vous mettez quelque zèle dans votre tournée, il est probable que vous l’aurez terminée en moins de deux jours.

Certes, j’avais en apparence toutes les garanties désirables de repos dans ce paisible village, sur lequel une influence soporifique semblait s’être étendue ; mais il était écrit que les révolutions m’y poursuivraient encore. La sage politique de don Geronimo avait en vain conjuré les orages qui se formaient au loin ; il en devait naître et éclater à ses côtés.

  1. Je vous salue, Marie très pure, — Conçue sans péché. Entrez.