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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/352

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REVUE DES DEUX MONDES.

M. Pozzo n’ait pris part ; il vit dans l’intimité de ce qu’on appelle à Paris le monde politique, Pasquier, Molé, Talleyrand. Comme ce séjour lui plaît, comme cette société va à ses goûts, il en est résulté une sorte de mollesse dans sa manière de voir et d’apprécier les rapports de la France et de la Russie. Pour éviter une crise, pour empêcher une rupture entre les deux gouvernemens, M. Pozzo déguisait les faits trop âpres, les discussions trop décisives. Cette nature toute française allait plus loin encore. Possesseur d’une immense fortune, M. Pozzo aurait préféré la résidence à Paris à son titre même d’ambassadeur, particulièrement sous la restauration : en 1815, il fut désigné par Louis xviii pour le ministère de l’intérieur, et reçut des lettres secrètes de pairie que le fin diplomate conservait dans son portefeuille. Mais depuis la révolution qu’est-ce que la pairie ?

Le nouveau poste que va occuper M. Pozzo à Londres, n’est point une disgrace, comme on l’a dit, mais seulement une manière de dépayser ses habitudes. Indépendamment de ce que ses relations de Paris ne lui permettaient pas l’examen sévère de tous les faits de la politique, depuis les événemens de juillet surtout, M. Pozzo n’apportait pas assez de méfiance dans ses relations journalières avec la nouvelle cour. Il ne faut pas qu’on se le dissimule, Louis-Philippe, admis de fait dans la communauté des souverains de l’Europe, n’y est point encore admis de droit. Or les fréquentes visites de M. Pozzo au château, ses intimités, au nom de son gouvernement, avec la personnification royale de la révolution de juillet, ne plaisaient point à la Russie. En envoyant M. Pozzo à Londres, on le jette dans une nouvelle société, on le place au milieu des tories, auprès de son vieil ami le duc de Wellington, son général-major à la bataille de Waterloo ; il pourra là rendre des services à la Russie sans la compromettre ; il n’y aura plus ni révolution, ni révolutionnaire.

Ce n’est pas la première fois que M. Pozzo visite l’Angleterre, il l’avait vue déjà en 1835, mais alors sous le ministère de lord Grey ; à ce moment où le parti tory, jeté hors des affaires, n’exerçait plus que cette influence souterraine, qui plus tard lui a frayé de nouveau la route du pouvoir ; à cette époque, le duc de Wellington était fortement préoccupé de la situation de l’aristocratie en Angleterre ; l’énergie populaire s’était récemment manifestée, et son hôtel portait encore l’empreinte des pierres que la multitude avait jetées sur ses fenêtres crénelées. Le duc, en parcourant ses appartemens dorés, montrait du doigt au comte Pozzo les marques indélébiles des ravages du peuple, et nous ne croyons pas qu’un tel spectacle pût alors encourager les tories à revenir au pouvoir. Les choses ont bien changé ; les amis de M. Pozzo sont au pouvoir, le duc de Wellington n’est plus réduit au rôle passif de spectateur, il dirige les affaires de son pays.