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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/378

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REVUE DES DEUX MONDES.

dans un des prologues de Sainte Trifine, comment la princesse se perd, pour être allée se promener au bois, — ce qui prouve, jeunes filles, qu’il n’est point bon chercher les mûres le long des fossés ; vous verrez comment elle est condamnée pour avoir été embrassée de force, — ce qui prouve, jeunes filles, qu’il faut se laisser faire de bonne volonté. » — Il est à remarquer aussi que les prologues débutent toujours de la même manière ; les deux vers qui les commencent sont sacramentels. — « Réunion de chrétiens, assemblée honorable, nous vous prions à deux genoux de nous écouter avec bienveillance. » — Viennent ensuite quelques complimens plus ou moins heureusement tournés, des témoignages de respect dans lesquels se révèlent, d’une manière curieuse, l’esprit du temps et le caractère breton. — « C’est à vous que je m’adresse d’abord, dit l’explicateur dans Sainte Trifine, prêtres et religieux, à vous qui êtes les représentans de Jésus-Christ dans cette vie, puis à vous, messieurs de la noblesse, puis à vous, messieurs de la justice, puis à ceux qui ont droit de police sur le peuple, enfin à vous tous qui êtes ici présens. » — Un usage bizarre, et dont nous ignorons le motif et l’origine, voulait aussi que l’acteur qui récitait le prologue fît, de quatre vers en quatre vers, une évolution autour du théâtre, suivi de tous ses compagnons. C’est ce que l’on appelait la marche. Pendant ce temps « rebecs et bignious doivent sonner, » comme nous en avertit la note d’un des vieux manuscrits que j’ai sous les yeux.

De tout ce que nous venons de dire, on a pu conclure déjà que les tragédies bretonnes étaient des œuvres spéciales et dignes d’être étudiées. Nous allons maintenant nous efforcer de les faire connaître dans leur exécution et leurs détails. Nous prendrons, parmi les dix ou douze drames celtiques que nous connaissons, les trois pièces les plus remarquables et les plus typiques ; ce sont : Saint Guillaume, comte de Poitou, les Quatre fils d’Aymon, Sainte Trifine. Saint Guillaume, c’est le drame d’imagination ; les Quatre fils d’Aymon, le drame historique ; Sainte Trifine, le drame pieux. Le premier est un roman, le second une chronique, le troisième une légende. C’est dire d’avance que ce dernier a sur les autres une immense supériorité.

Nous avons dit, en parlant des chants bretons, quels étaient les poètes de ces compositions originales ; des bouviers, des tailleurs de campagne, des étudians, de pauvres clercs ; tels doivent être aussi les auteurs des tragédies dont nous allons parler. Ce fut sans doute dans quelque bourgade isolée du Léonais, pendant une de ces longues veillées d’hiver qui se prolongent devant les feux de bruyères, qu’un cloarec malade, revenu au foyer natal et tourmentant sa pensée dans le calme d’une méditation