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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/406

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REVUE DES DEUX MONDES.

paroisses des Côtes-du-Nord y avaient envoyé quelques représentans. C’étaient mille coiffures, mille habits, mille chaussures, tels qu’on n’en voit plus en France depuis trois siècles. C’étaient de roses Trégoroises, dont les coiffes élancées rappelaient la forme des pirogues américaines ; d’ardentes Lamballaises, à l’œil quetteur, aux lèvres invitantes, avec leurs flots de cheveux noirs débordant de leurs cappa italiennes ; c’étaient de naïves Lannionnaises, s’épanouissant sous les barbes de leurs coiffures, semblables aux ailes repliées d’une phalène. Puis venaient des hommes du Mènes Brée, avec l’habit de toile blanche, les longs cheveux, et les immenses sabots durcis au feu ; puis les matelots de Pontrieux, à la veste bleue, au petit chapeau de paille et aux escarpins à bouts pointus ; parmi eux on distinguait, de loin en loin, quelques vieux lamaneurs, reconnaissables à l’ancre d’argent pendue à leurs boutonnières ; plus loin étaient les meuniers de la vallée, habillés de drap blanc, et portant le bonnet bleuâtre ; les bouchers avec leurs vêtemens bruns, leurs bas rouges et la ceinture à gaîne de cuir ; les tailleurs, remarquables par leurs culottes carmélites et leurs bas violets, et les belles piqûres exécutées sur le devant de l’habit ; car chaque population, chaque profession avait son costume qui la distinguait. Toute cette foule s’agitait au milieu des boutiques de colporteurs, des loteries de faïence et des marchands d’épinglettes en fil de laiton. Les enfans, groupés autour des étalages, achetaient des petits pains blancs exposés en vente sur la paille, les jeunes filles regardaient les belles images des aveugles, suspendues à de longues ficelles avec des guerz bretons à la marge ; les jeunes mères vendaient leurs cheveux pour des mouchoirs de Chollet que leur distribuait un charlatan, et les vieilles femmes marchandaient des chapelets garnis de houppes bariolées. Au milieu de cette mêlée, on voyait passer quelquefois un carrosse du xvie siècle, tout bordé de clous de cuivre, tiré par des chevaux de ferme aux attelages de cuir blanc, ornés d’arabesques rougeâtres, et les paysans curieux se rangeaient lentement devant la voiture du vieux gentilhomme, et ils tiraient encore plus lentement leurs larges chapeaux, en poursuivant le triste équipage de ce long regard et de ce long sourire particuliers aux paysans bas bretons, et dont rien ne peut rendre la silencieuse moquerie.

Je marchais émerveillé au milieu de cette multitude ; j’avais là devant mes yeux toute une époque passée, et je croyais voir se réaliser pour moi le conte de la Belle au bois dormant. Il me semblait que, comme le prince voyageur, je venais de rompre le charme qui avait retenu dans le sommeil, pendant trois siècles, une population entière, et que c’était une cité du moyen-âge qui se réveillait.