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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

voyais, seulement au loin, les blanches silhouettes de quelques jeunes paysannes qui se perdaient dans l’ombre ; j’entendais encore leurs rires frais et moqueurs qui m’arrivaient par raffales. Cela dura quelques minutes, puis tout se tut.

Alors je demeurai perdu dans l’immense solitude qui m’entourait tout à coup. Je contemplais, avec une indicible rêverie, les toits aigus des manoirs qui pointaient dans la campagne ; j’écoutais le son des conques des bergers, les tintemens des cloches des paroisses, un vieux air murmuré sur la montagne, et au milieu de toute cette nature confuse, ineffable, il me sembla que je me réveillais d’un songe. Je crus m’être endormi sur quelque livre de chevalerie, et avoir rêvé une histoire de la Table ronde : je cherchai autour de moi mes paladins, mes enchanteurs, mes prêtres et mes empereurs, tout ce vieux monde de croyances et de romanesques entreprises, de naïves amours et de surhumaines énergies !… Mes yeux, en se baissant, tombèrent sur le farouche Jacques Riwal, qui, penché sur son bâton, me regardait. — Cette vue me réveilla et m’émut, comme si la réalité s’était personnifiée devant moi et m’avait touché du doigt. En sortant du moyen âge, et encore debout sur le seuil du passé, je me trouvais face à face avec le présent : — la république en sabot et en habit de toile, appuyée sur son rude pen-bas, et attendant !


Émile Souvestre.