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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/441

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CHATTERTON.

la pauvreté. Ces amis joyeux et opulens qui viennent à lui sont une raillerie cruelle à sa crédulité. Mais le dépit même jette une lumière nouvelle sur la vraie situation de son cœur. Que lui ferait la richesse ou la pauvreté du poète si elle n’avait pour lui que de l’amitié ? Ne devrait-elle pas se réjouir au lieu de se plaindre ? N’est-ce pas l’amour seul qui met son égoïsme à consoler sans partage et sans secours ? N’est-ce pas l’amour qui va jusqu’à souhaiter la misère pour agrandir le dévouement ? Eh bien ! ici encore le docteur intervient pour imposer silence à la passion qui voudrait parler. Il retient sur la lèvre imprudente l’aveu qui déborde et qui ferait de l’ange une femme. Au moment où Kitty, oubliant sa pudeur austère, va se confesser aux pieds de son vieil ami, au lieu de venir en aide à sa timidité, il moralise, l’heure s’enfuit, et la voix impérieuse du mari arrête le flot qui allait s’épancher.

Ainsi, après deux actes entiers, l’action n’est pas commencée ; le troisième se jouera-t-il de nos prévisions ? Sur une lettre de Chatterton, le lord-maire, un des plus grands seigneurs du royaume, vient lui offrir un traitement de cent livres sterling, et une place de premier valet de chambre. Je comprends sans peine l’humiliation et la colère du poète à la lecture d’une pareille proposition. Mais l’humiliation suffisait ; pourquoi faire signer à Chatterton un billet par lequel il promet son corps à Skirner, en cas de non-paiement ? C’est une horreur très inutile.

Il y a dans ce troisième acte deux scènes que je dois louer, parce qu’elles sont bien posées. Quand le docteur pressent la dernière résolution de Chatterton, il va le trouver dans sa chambre. Il retourne habilement le poignard dans le cœur désespéré qu’il veut guérir ; il élargit la plaie pour mieux juger la blessure. Il le ramène à la vie par l’orgueil, et lui montre la gloire infidèle couronnant le front de ses rivaux. Il le terrasse par la honte ; un instant, il croit la partie gagnée. Déjà il se réjouit, mais cette chance lui échappe, il n’a plus qu’une dernière ressource : c’est d’invoquer l’amour de Kitty. À cet aveu, le malheureux se ranime, mais l’orgueil ne lui permet plus d’entrevoir le bonheur. Il n’a plus la force d’espérer.

Kitty elle-même se résigne vainement au même aveu. Hardie par abnégation, elle épuise, pour le consoler et le retenir, les paroles dont elle aurait rougi une heure auparavant. Elle a beau déchirer