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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/522

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REVUE DES DEUX MONDES.

soit en improvisant, soit en commentant, amplifiant et ornant de figures poétiques les livres du peuple. Ces livres sont aussi durables en Italie que les chansons y sont éphémères ; le peuple regarde ce qui y est écrit comme sa propriété ; c’est le recueil, grossi de génération en génération, de toutes ses traditions fabuleuses, de ses aventures d’amour, de ses farces et de ses superstitions ; il se compose de narrations sur toutes les époques, et l’on y trouve décrits les temps anciens du paganisme, les héros romains, le commencement du christianisme, les croisades, les invasions des Sarrasins et des pirates, la vie chevaleresque et la vie des couvens ; c’est, en un mot, l’épopée du peuple italien. En vain dès le berceau l’a-t-on endormi ou réveillé avec les facéties de Bertoldo, l’Ésope de l’Italie ; en vain a-t-il entendu mille fois raconter ses chroniques et sa mythologie, la voix du narrateur est un appel tout puissant auquel il répond avec un empressement toujours nouveau.

A la Ripa grande, à Venise, on voit de ces narrateurs entourés d’un nombreux auditoire, qui, dans le style le plus emphatique, font des improvisations sur le héros qu’on leur a proposé, ou qu’ils se sont choisi eux-mêmes, n’omettant aucun détail, ni sur ses duels, ni sur ses amours, et restant là des demi-journées, aussi infatigables à parler, que le peuple à les entendre.

C’est surtout dans le port de Naples, sur le molo, qu’on les rencontre nombreux, féconds et inépuisables. Ils restent assis, des jours, des mois, des années, à la même place, sur un morceau de bois, un monticule de terre, ou une espèce de trône qu’ils se sont formé avec des pierres ; autour d’eux, et couchés à terre, sont les lazzaroni à moitié nus, les pêcheurs, les soldats, les matelots, tous, les yeux fixés sur la bouche qui improvise, contractant ou épanouissant les traits de leur physionomie, selon que l’évènement rapporté est triste ou gai, heureux ou malheureux ; puis, sortant tout à coup d’un silence de mort pour éclater en applaudissemens frénétiques, ou pour fondre en larmes et sanglotter, selon le sort qu’il a plu à l’historien de faire à son héros. — Plusieurs de ces narrateurs se contentent de lire, et, chose caractéristique, ils choisissent alors plus souvent le Roland de l’Arioste que la Jérusalem du Tasse.

Lorsqu’il a terminé un chant ou une histoire, le narrateur tend