Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/548

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
544
REVUE DES DEUX MONDES.

détournée contre l’Académie, dont l’arrêt est venu le surprendre, sommeillant à demi sous ses ombrages, et encore pour lui demander de la prose, le désarmant ainsi de la rime et de la cadence des vers ; c’est lui-même qui parle avec cette charmante élégance. Ce discours, à tout prendre, est un lieu commun assez vulgaire. Mais il importe d’en détacher quelques phrases qui décèlent dans le poète un sens remarquable. Il juge ainsi lui-même ses vers faciles et négligés : « Je les compare, dit-il, à ces jeux de la nature, qui quelquefois, dans les jaspes et les cailloux, commencent des figures à peine connaissables d’arbres, de portiques ou d’animaux, à qui le seul art du peintre peut achever de donner la perfection et la forme. » Le peintre, je l’ai dit, ce fut La Fontaine.

Racan avait un juste sentiment de l’imitation, et il se moque ingénieusement des imitateurs maladroits, qui, dit-il, « prennent indifféremment tout ce qu’ils trouvent dans les latins et dans les grecs. Si, par hasard, il leur tombe en main quelque bonne pensée de Virgile ou d’Horace, on voit bien que cela ne leur est pas propre ; ils s’en servent de si mauvaise grâce, et avec autant de faiblesse que Patrocle faisait des armes d’Achille. »

De temps à autre, il venait à Paris ; jamais alors il ne manquait une séance de l’Académie. Il prenait, même pour s’y rendre, le chemin le plus court, laissant le plus long à La Fontaine. Il disait qu’il n’avait d’amis que messieurs de l’Académie, jusque-là, dit Tallemant, « qu’il prit pour procureur le beau-frère de Chapelain, parce qu’il lui semblait que cet homme était beau-frère de l’Académie. » Aussi traitait-il ses confrères sans aucune façon ; il s’en vint un jour au milieu d’eux avec un chiffon de papier tout déchiré dans ses mains : Messieurs, dit-il, je vous apportais ma harangue, mais une grande levrette l’a toute mâchonnée. La voilà, tirez-en ce que vous pourrez… Quand son fils aîné fut assez grand, ajoute la chronique, il le mena à l’Académie pour lui faire saluer tous les académiciens. »

Ce fils aîné n’était qu’un sot : c’était pour le bonhomme une grande douleur. Le second, qui avait de l’esprit, mourut à l’âge de seize ans. Son père lui fit une épitaphe touchante. Le malheureux père comprit alors sans doute pourquoi, vingt ans auparavant, il