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CORNILLE BART ET LE RENARD DE MER.

Lorsque maître Cornille fut bien assis et accommodé dans son fauteuil, il tourna languissamment ses yeux éteints vers sa femme, qui le regardait en silence avec une expression de tendresse et de douleur inexprimable, tout en serrant sur son sein la tête de son fils.

— Dieu est juste, ma bonne Catherine, dit Cornille Bart, j’espère qu’il récompensera tes bons soins en ne nous séparant pas encore, et en me laissant vivre pour élever notre petit Jean, de telle sorte qu’il devienne un brave et digne marin de guerre, car c’est lui, parmi nos enfans, que je destine à cet état… Les autres garçons navigueront pour les bourgeois… Mais lui, s’il plaît à Dieu, fera la guerre comme mon père et moi l’avons faite.

Catherine leva au ciel ses yeux baignés de larmes, comme pour le prier d’exaucer la prière de son mari, et Jean fronça de nouveau les sourcils…

— Mais, dit Cornille Bart, il me semble, mon vieux Sauret, que le feu a été peu vif aujourd’hui ?

— Oui, maître… Mais on assure que M. le maréchal de Hocquincourt a été tué ce matin dans une sortie, par les enfans perdus de M. de Turenne.

— Bonne fin pour lui, qui se battait contre son pays,… et pourtant c’était un capitaine ! Je l’ai vu fort et vaillant au vieux Mardyk… Mais à quoi sert la valeur, quand on défend une mauvaise cause ? Hélas ! hélas ! en quel temps Dunkerque sera-t-il enfin, et une bonne fois, et pour toujours, à la France, et à jamais délivré de l’Anglais et de l’Espagnol ?… Seigneur Dieu, je crains bien de ne pas voir cette bonne heure…

— Pourquoi donc cette crainte, mon ami ? dit Catherine, et puis d’ailleurs M. le maréchal de Turenne ne commande-t-il pas pour le roi de France, aussi bien que milord Lockard pour le lord protecteur ? Vous m’avez dit vous-même que notre ville ne pouvait long-temps résister malgré la valeur de monseigneur le marquis de Lède, parce que l’issue du siége était indifférente aux habitans, bien sûrs qu’ils sont d’une capitulation honorable et avantageuse ; et mon Dieu ! mon Dieu ! fasse le ciel que cela soit bientôt, pour que je puisse revoir mes pauvres enfans, qui sont heureusement demeurés à Bergues avec ma sœur !