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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/565

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DIPLOMATES EUROPÉENS.

tagée entre eux ; on flatta Bernadotte de l’espoir de revêtir un jour la pourpre impériale dont on dépouillerait Bonaparte. C’était M. Pozzo di Borgo que le czar avait chargé lui-même de séduire le prince royal. Ce dernier hésita long-temps avant de céder. Tandis qu’il embarquait à Kalschrona, le canon victorieux de Lutzen et de Bautzen avait retenti jusqu’à lui. L’armée russe était en pleine retraite à travers la Haute-Silésie, et Bernadotte savait la fortune de Napoléon ! Il était entré en ligne, mais il n’osait pas se prononcer encore. Il attendait à Stralsund les évènemens. Le persévérant diplomate courut l’y rejoindre. Il triompha des irrésolutions du prince royal, et parvint à l’emmener avec lui au congrès militaire de Traquenbourg. Ils y trouvèrent Moreau. Ce fut là que ces trois mortels ennemis de Napoléon échangèrent leurs vieux ressentimens, Moreau contre le consul, Bernadotte contre l’empereur, Pozzo di Borgo contre le Corse, le consul et l’empereur. Ce fut là que sur leur commun avis, il fut décidé que la France envahie, la coalition marcherait droit à la capitale, afin de frapper Bonaparte au cœur même de sa puissance et de sa faiblesse. Funeste plan de campagne, dont la clairvoyance et la sagacité de ces trois haines assuraient trop bien le succès !

Le congrès de Prague n’avait été que le prétexte d’un armistice devenu nécessaire à toutes les parties belligérantes, jamais les propositions de paix des alliés n’y avaient été sincères. Ce n’est pas qu’ils ne la voulussent au fond, mais ils la voulaient, sur le Rhin, dictée sous leurs épées, et ils étaient sûrs de la conquérir à ces conditions. Toute l’ardente jeunesse allemande accourait fanatisée sous leurs drapeaux ; chaque jour, leurs légions se grossissaient de légions nouvelles ; chaque jour, au contraire, Napoléon s’affaiblissait davantage ; chaque jour, les désertions éclaircissaient les rangs de son armée. Son armée, sa glorieuse armée, allait elle-même lui manquer. Conscrits, officiers, généraux, tous étaient las et excédés. Le bâton pesait au maréchal, comme au soldat son fusil. Son armée lui allait manquer. Que lui resterait-il ? Il eût été sauvé peut-être par la médiation armée qu’offrait l’Autriche. Les alliés s’étaient vivement inquiétés de cet obstacle. C’était pour l’écarter surtout qu’ils avaient fait cette halte du congrès de Prague. L’imprudence de l’empereur les servit mieux que toute leur diplomatie. Dans une conférence intime où M. de Metternich lui insinuait au prix de quelles restitutions il mettait sa médiation, — Monsieur de Metternich, combien vous donne l’Angleterre pour jouer ce rôle-là ? — lui dit Napoléon. Le ministre offensé ne répondit rien ; seulement, afin de montrer qu’il avait senti l’injure, il ne se baissa pas, comme l’eût voulu l’étiquette, pour ramasser le petit chapeau que l’empereur avait laissé tomber dans un brusque mouvement de colère. Quelques jours