Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
613
ANDRÉ.

poursuivent. Ma mère fait faire le trousseau de ma sœur qui se marie, et nous avons quatre ouvrières dans la maison. Quatre ! et des plus jolies, ma foi ! Moi, je ne fais que de dévider le fil et ramasser les ciseaux de ces Omphales. Je tourne à l’entour en sournois comme le renard autour d’un perchoir à poules, jusqu’à ce que la moins prudente se laisse prendre par le vertige et tombe au pouvoir du larron. Le soir, quand elles ont fini leur tâche, je les fais danser dans la cour, au son de la flûte, sur six pieds carrés de sable à l’ombre de deux accacias. C’est une scène champêtre digne d’arracher de tes yeux des larmes bucoliques. Ah ! tu me verras ce soir transformé en Tityre, assis sur le bord du puits, et je veux te faire voltiger toi-même au milieu de mes nymphes. Ah ça ! tu sais l’usage du pays ? les ouvrières en journée mangent à la même table que nous ; ne va pas faire le dédaigneux ; songe que cela se fait dans tout le département, dans les grands châteaux tout comme chez les bourgeois.

— Oui, oui, je le sais, répondit André ; c’est un usage du vieux temps que les artisans ne songent pas à détruire.

— Moi, j’aime beaucoup cet usage-là, parce que les filles sont jolies. Si jamais je me marie, et si ma femme (comme font beaucoup de jalouses) n’admet au logis que des ouvrières de quatre-vingts ans, je saurai fort bien les envoyer manger à l’office, ou bien je leur ferai servir des nougats de pierre à fusil, qui les dégoûteront de mon ordinaire. Mais ici c’est différent, les bouches sont fraîches et les dents blanches ; que la beauté soit la reine du monde, rien de mieux.

iv.

L’intérieur de la famille Marteau était patriarcal. La grand’mère, matrone pleine de vertus et d’obésité, était assise près de la cheminée, et tricotait un bas gris. C’était une excellente femme, un peu sourde, mais encore gaie, qui de temps en temps plaçait son mot dans la conversation, tout en ricanant sous les lunettes sans branches qui lui pinçaient le nez. La mère était une ménagère