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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/623

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ANDRÉ.

soins ; elle aime beaucoup ma fille, et elle lui a promis de lui faire les plus jolies fleurs qu’elle ait encore faites.

— Savez-vous que cette petite Geneviève a du talent dans son genre ? reprit Mme Privat.

— Oh ! dit la grand’mère, c’est une chose digne d’admiration ! moi, je ne comprends pas qu’on fasse des fleurs aussi semblables à la nature. Quand je vais chez elle, et que je la trouve au milieu de ses ouvrages et de ses modèles, il m’est impossible de distinguer les uns des autres.

— En effet, dit la dame avec indifférence, on prétend qu’elle regarde les fleurs naturelles, et qu’elle les imite avec soin ; cela prouve de l’intelligence et du goût.

— Je crois bien ! murmura Henriette, furieuse d’entendre parler légèrement du talent de Geneviève.

— Oh ! du goût ! du goût ! reprit la vieille, c’est ravissant, le goût qu’elle a, cette enfant ! si vous voyiez le bouquet de noces qu’elle fait à Justine, ce sont des jasmins qu’on vient de cueillir, absolument !

— Oh, maman ! dit Justine, et ces muguets !

— Tu aimes les muguets, toi ? dit Joseph, qui venait de rentrer.

— Il y a aussi des lilas blancs pour la robe de bal, dit Mme Marteau ; nous en avons pour cinquante francs, seulement pour la toilette de la mariée, sans compter les fleurs de fantaisie pour les chapeaux ; tout cela coûte bien cher et se fane bien vite.

— Mais combien de temps met-elle à faire ces bouquets ? dit Joseph, un mois peut-être ? travailler tout un mois pour gagner cinquante francs, ce n’est pas le moyen de s’enrichir.

— Oh ! M. Joseph, vous avez bien raison ! dit Henriette d’une voix aigre, ce n’est certainement pas trop payé ; il n’y a guère de profit, allez, pour les pauvres grisettes, et par-dessus le marché on leur fait avaler tant d’insolences ! On n’a pas toujours le bonheur d’aller en journée chez du monde honnête comme votre famille, M. Joseph ; il y a des personnes qui parlent bien haut chez les autres, et qui, au coin de leur feu, lésinent misérablement.

— Eh bien ! eh bien ! dit la grand’mère, qui, placée assez loin de Henriette, n’entendait que vaguement ses paroles, qu’a-t-elle donc à regarder de travers par ici, comme si elle voulait nous