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heureux fruits de ses derniers voyages, le roi perdit toute envie de lui donner la présidence. On avait compté sur un malade et un impotent.

M. Molé, qui prenait sincèrement part aux embarras du roi, lui dit alors que, puisqu’il était question d’amnistie, il était bien juste de songer à l’homme qui en avait eu la première pensée, qui l’avait toujours soutenue dans le conseil, et qui s’en était retiré faute de pouvoir la réaliser : au maréchal Gérard. Le roi accéda à la proposition de M. Molé ; il vit le maréchal Gérard, l’engagea à essayer de former un cabinet, entendit sans déplaisir les noms de MM. Passy, Barante, Pelet de la Lozère ; mais le maréchal Gérard tenait à conserver M. Humann comme ministre des finances, et le refus de M. Humann l’arrêta dès le premier pas.

Ce fut alors que le roi revint à M. Guizot et à M. de Broglie.

M. Guizot n’était pas aussi jaloux qu’on le pense de voir M. le duc de Broglie à la tête du conseil. M. Guizot connaît trop son cher Victor, ainsi qu’il le nomme, pour se dissimuler que cet esprit inflexible et cassant sera difficilement supporté par le roi et par ses propres collègues. M. Guizot sait mieux que personne que M. de Broglie apporte dans le conseil le poids d’une haute probité, une certaine expérience touchant un certain côté des affaires, un sentiment honorable de son devoir et le prestige d’une loyauté établie ; mais M. Guizot se souvient de tout ce qui s’est passé pendant le dernier ministère de M. de Broglie ; il frémit en songeant que le traité des vingt-cinq millions, ce pas difficile où M. de Broglie avait si lourdement trébuché, sera le premier degré qu’il aura à monter pour s’asseoir au banc des ministres. Son esprit prudent et méditatif a vu d’un coup d’œil tous ces dangers ; mais M. Guizot est d’une congrégation où la hiérarchie commande : pour rester le second, il faut qu’il respecte le premier en rang, et il a fait révérencieusement place à M. de Broglie, ou plutôt il l’a mené par la main au poste qu’il occupe aujourd’hui.

À cet effet, M. Guizot se rendit chez le roi ; il le trouva triste, abattu et exténué de toutes ces intrigues qui ne semblaient pas tant lui déplaire il y a peu de temps. Une circonstance encore plus nouvelle et plus singulière, c’est que la conversation fut courte ; on ne s’attabla pas. Le roi resta froid, accepta, en peu de mots, la présidence de M. de Broglie, et parla d’amnistie. À ces paroles, M. Guizot se montra fort surpris, et parut étonné que sa majesté eût changé d’avis à cet égard. Le roi répondit qu’il avait toujours regardé l’amnistie comme une question d’opportunité, et que le moment lui semblait venu ; il ajouta que M. Guizot avait été lui-même autrefois pour l’amnistie ; mais, dit le roi en souriant, il fallait rendre cette justice à M. Guizot, que de tous les ministres, il était celui