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Venise. Ensuite vient la cavatine de Rubini, composition charmante dont l’andante vous ravit par une phrase simple et touchante et largement développée, que les violoncelles exécutent, et dont la fin vous entraîne par sa cabelette vive, pétulante, emportée, l’une des plus originales qui se trouvent dans Donizetti. Jusqu’à présent nous avions regardé l’exécution de la cavatine de Niobé comme une telle merveille, qu’il nous semblait impossible, à Rubini lui-même, de jamais dépasser les limites qu’il s’était tracées. L’air de Faliero lui a donné l’occasion de s’élever plus haut encore, et désormais nous nous abstiendrons de toute prévision à l’égard de cet homme étonnant, car ce serait folie que de vouloir calculer les essors d’une si prodigieuse organisation. Rubini dit l’andante avec un sentiment profond, une mélancolie adorable ; puis, quand toutes ses larmes ont coulé, sa haine se réveille, sa colère éclate. Alors il est grand, impétueux, terrible. C’est bien là le neveu de Faliero, insulté dans l’honneur de la femme du doge. C’est ainsi que devait bouillonner dans un cœur de vingt ans ce sang si chaud encore sous la peau d’un vieillard. Nous savions, nous, que Rubini était aujourd’hui le plus grand tragédien de notre temps, comme il en est le plus divin chanteur ; à la représentation de Faliero, le public a confirmé notre jugement de la plus éclatante façon. L’expression de Rubini est toujours naturelle et profonde. Il ne fait aucun geste, lui ; ses yeux ne roulent pas dans leur orbite, ses mains ne se tordent point en de folles convulsions, et pourtant il fait ce que nul autre que lui ne sait faire : il émeut et ravit, et les applaudissemens éclatent en vous bien avant que vos mains ne les lui transmettent. Fernando est blessé à mort, et vient expirer, comme dans la pièce française, sous les yeux de son oncle. Seulement ici, à la place des emphatiques déclamations de M. Delavigne, Donizetti a mis un chant simple et grandiose, dont Lablache s’empare, et qu’il jette dans la salle avec toute la puissance de sa voix magnifique.

Le troisième acte appartient tout entier à Giulia Grisi. L’air que chante Helena après la condamnation de son époux, est heureusement inventé ; Donizetti a renoncé pour cette fois à ses formules ordinaires. Cet andante, d’une expression douloureuse et plaintive, enchassé entre deux phrases rapides et véhémentes, est du meilleur effet. Mlle Grisi la chante avec un sentiment profond, une admirable expression dramatique, et cette voix qu’elle maîtrise avec tant d’art au premier acte, pendant son duo avec Rubini, donne là toutes ses vibrations, et vous émeut autant qu’elle vous ravissait tout-à-l’heure. Durant toute la dernière scène, elle s’est maintenue à la hauteur de ses plus belles inspirations ; il faut dire aussi qu’elle était merveilleusement secondée par Lablache. Après la