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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/99

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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

même chose, si vous voulez, mais c’est là qu’il réussit le mieux ; donc il a fait avec bonheur promener dans les vallées, danser sur les montagnes et sous les montagnes, les sylphes, les gnomes, les belles fées, les beaux génies. Il leur a tissu des robes d’or, d’azur et de soleil couchant ; il les a suspendus aux calices des fleurs, bercés dans le souffle des zéphirs, endormis dans les parfums éthérés, dans les vibrations des harmonies célestes ; et pour l’encouragement des imaginations rêveuses auxquelles le monde réel ne suffit pas, il a fait passer roi de ce monde fantastique, un jeune échappé de château, un mortel coureur de fortune poétique, lequel, en rencontrant le cortége de la belle fée Titania, lui saute hardiment au cou, ce qui suffit pour devenir Oberon. On ne peut conquérir à meilleur marché la plus belle des épouses, la souveraineté des intelligences, la science universelle et une immortalité d’un millier d’années. Les fonctions de ce roi parvenu, dieu viager, consistent uniquement à présider à la poésie de l’univers ; il s’acquitte du métier en dieu qui avait une vocation décidée. La terre n’a pas eu depuis mille ans d’autres poètes que de sa main. Tous ceux qu’il a voulu privilégier, il les a embrassés. Pour peupler son conservatoire de poètes, il a parcouru toute l’Europe, embrassant Dante, Pétrarque, Arioste, Shakspeare, Cervantès, Gottfried de Strasbourg, Schiller, Goethe et M. Tieck : mais il a dédaigné d’entrer en France, qui ne lui offrait pas de sujets, apparemment. C’est bien injuste à Mme Titania d’avoir fait dieu de la poésie un Allemand partial qui se décide par les mouvemens haineux d’une nationalité étroite. Ce n’était pas assez pour nos pauvres grands hommes d’avoir à lutter contre une langue peu poétique, il leur a fallu se passer même de poésie. Eh bien ! vraiment, nous n’en voulons pas à M. Tieck, quelque désolant que cela soit pour nous. Son conte est joli, très attrayant. Nous n’examinerons pas si les couleurs qu’il prodigue à pleines mains, ne lui sont pas fournies gratuitement par la magnificence inépuisable de la langue allemande, riche palette également à la disposition du premier venu, comme des gens sans idées nous le prouvent tous les jours. Il nous suffit qu’il fasse de chaque feuille d’arbre de la vallée enchantée une langue de rossignol, que sa lumière ternisse notre soleil, que ses murmures aériens donnent aux mortels privilégiés de délicieux tintemens d’oreilles. À lui tout ce mérite, nous n’en voulons rien rabattre, quoiqu’on l’accuse de surfaire à l’aide de grands mots harmonieux. Mais nous le supplierons de ne pas faire de comique, car il paraît que ce n’est pas de la poésie, puisque Oberon n’a pas embrassé Molière. Que M. Tieck abandonne le comique aux malheureux Français déshérités de poésie, et qu’il ne risque pas de rester au-dessous de gens aussi prosaïques. Qu’il lui suffise, à lui et aux