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M. de B. sur ce pardon, auquel il eût pu facilement donner une forme moins sentimentale, moins suspecte de niaiserie. On peut dire avec plus de justesse que le drame manque d’une certaine moralité nette et suffisante. On voit bien que l’auteur s’est attaché à la vieille et grande doctrine chrétienne de l’expiation ; mais il l’a fait en honteux, avec un juste-milieu de prêtre-philosophe : on dirait d’une conclusion conseillée par l’abbé Châtel. C’est en vain qu’il alléguerait que le mérite du repentir secret égale ceux de la confession et de la pénitence ; quand on se place au point de vue catholique, on ne peut biaiser avec des demi-doctrines.

Ceci, qu’on le remarque bien, n’est pas du dogme, mais seulement de la critique toute littéraire, qui veut une conséquence rigoureuse dans les moyens. Aussi croyons-nous que si M. de B. avait fait de la moralité religieuse le but principal de son poème, il lui eût été facile de trouver une fin plus complète. Il nous paraît donc que le sens de ce drame est la glorification de l’ame humaine dans le personnage de Faust. Cette noble intelligence, ainsi placée avec les conditions d’énergie et de puissance, reste supérieure au démon qui n’a sur elle qu’une prise, pour ainsi dire, toute matérielle. Il entrait dans le plan de Goëthe de montrer le vaste esprit de Faust petit auprès d’une puissance surhumaine ; M. de B. a pris le contre-pied, et c’est là sa gloire, car il a réussi dans cette lutte. Chez Goëthe, Faust, dégoûté par tous les plaisirs qu’on lui offre, querelle misérablement Méphistophélès, et s’use, à la grande joie de celui-ci, dans l’aigreur d’un dépit impuissant. Chez M. B., Faust, après s’être condamné le premier, ordonne à son maître futur de respecter son infortune, et l’humilie en quelque sorte par l’hommage qu’il rend aux décrets du ciel. S’il ne prie pas, c’est encore par ce sentiment de haute probité qui se reprocherait d’essayer de corrompre son juge par une offrande, et s’interdit d’ailleurs toute tentative pour faire rompre un engagement sacré. Il doit être puni ; il commence par anticipation son supplice volontaire, comme l’homme qui se suicide pour ne pas être déshonoré par la main du bourreau. Ici les efforts impuissans sont tous du côté de Méphistophélès, qui s’agite sans relâche pour franchir ce cercle de mépris que Faust a tracé d’une main hautaine. Cette idée, nous le répétons, fait honneur à M. de B., qui s’en est sans doute tellement préoccupé, qu’il a négligé les autres personnages et les ressorts de son drame. Méphistophélès est un triste diable qui ne sait rien imaginer pour ou contre Faust. Bianca est un peu la femme allemande, pauvre créature toute passive, soumise à toutes les influences d’un monde de crise, étoile pure bientôt éclipsée par des vapeurs fangeuses. La vie réelle est traitée aussi mal que chez la plupart des écrivains allemands, qui semblent ne se mettre en contact avec le monde pratique que par quatre points, la tabagie, le libraire, la