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discours de la couronne tendait à cet effet. Mais que d’efforts et de peines avait coûté chaque phrase de ce discours si simple et si peu rempli ? N’a-t-il pas fallu brûler Mascara, l’abandonner en toute hâte, laisser des bagages et des munitions sur la route, afin que tout fût fini pour l’ouverture des chambres, et que l’héritier du trône, arrivé trop tard, néanmoins, pût apparaître dans l’enceinte du palais Bourbon, le front couvert de son laurier, comme Bonaparte devant le directoire ? Peu importe, après cela, qu’une nouvelle expédition soit nécessaire pour assurer les avantages de cette première expédition, bâclée pour la session ; peu importe que, dans quelques mois, cette triste affaire d’Amérique, reparaisse hérissée de nouvelles difficultés. Alors, comme alors ! La session n’aura pas moins été vaillamment ouverte, les crédits n’auront pas moins été votés ; la majorité, enivrée, satisfaite, et renvoyée dans ses champs, dans ses comptoirs et dans ses fabriques, n’aura plus rien à exiger avant un an. Or, gagner un an, c’est tout le secret du gouvernement représentatif, tel qu’on l’entend aujourd’hui ; et ce serait une folie que se refuser à reconnaître combien le ministère, qui a fait toutes ces choses, est habile.

Le ministère eût bien voulu ajouter à son discours un paragraphe au sujet de la Russie ; c’est une lacune qui sera remarquée en Europe, que le silence qu’il a gardé sur ses relations avec cette puissance, car pour l’Angleterre, pour l’Espagne, pour les États-Unis, pour l’Afrique, il en a été question explicitement dans le discours ; et, quant à la Prusse et à l’Autriche, on sait qu’aucun différend ne s’est élevé entre la France et ces états, et qu’aucune négociation n’est pendante avec ces puissances. Mais il n’en est pas ainsi de la Russie. La Russie a adressé des réclamations financières à la France ; la Russie se place chaque jour plus hostilement vis-à-vis du gouvernement français ; dans son fameux discours à la municipalité de Varsovie, l’empereur a familièrement nommé notre monarchie un gouvernement de la rue ; une feuille plus qu’officielle, puisqu’elle est confidentielle, a attaqué avec violence et le discours et tout le système politique de l’empereur Nicolas ; l’empereur a répondu par un acte dédaigneux qui s’étend plus loin qu’on n’a bien voulu le dire ; c’était bien le cas, ce semble, de dire quelques mots de la Russie, quelques mots pour rassurer les esprits les plus faciles à alarmer, ou pour rassurer les susceptibilités nationales, qui s’inquiètent avec raison de l’attitude que prend la Russie vis-à-vis de la France. Ce peu de mots en eût dit plus pour la sécurité extérieure du pays que tout le reste du discours, qui va singulièrement contraster avec le message du général Jackson, où l’Amérique prendra toute l’importance que lui laisse si bénévolement la France ; mais ce mot ne pouvait se dire, M. de Pahlen ne le voulait pas.