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SIMON.

de vexations sourdes et perfides dont les frères Mathieu ne fussent accablés. On arrachait l’épine qui bordait leurs prés, afin que toutes les brebis du pays pussent, en passant, manger et coucher l’herbe, et si un des agneaux de la ferme Mathieu venait, par la négligence du berger, à tondre la largeur de sa langue chez le voisin, on le mettait en fourrière, et le garde-champêtre, qui était à la tête de la conspiration pour cause de vengeance particulière, dressait procès-verbal et constatait un délit tel que quinze vaches n’eussent pu le faire. D’autres fois, on habituait les oies de toute la commune à chercher pâture jusque dans le jardin des Mathieu, et si une de leurs poules s’avisait de voler sur le chaume d’un toit, on lui tordait le cou sans pitié, sous prétexte qu’elle avait cherché à dégrader la maison. On poussa la dérision jusqu’à empoisonner leurs chiens, sous prétexte qu’ils avaient eu l’intention de mordre les enfans du village.

Mais l’artifice tourna contre son auteur ; les frères Mathieu comprirent bientôt de quoi il s’agissait. Paysans eux-mêmes, et paysans Marchois, qui plus est, ils savaient les ruses de la guerre. Ils commencèrent par lâcher pied, et quittant leur habitation de Fougères, ils s’allèrent fixer dans une autre propriété qu’ils avaient près de la ville. De cette manière, les vexations eurent moins d’ardeur, ne tombant plus directement sur les objets d’animadversion qu’on voulait expulser. Les paysans continuèrent à faire un peu de pillage, dans un pur esprit de rapine, ayant pris goût à la chose. Mais les Mathieu se soucièrent médiocrement d’un déficit momentané dans leurs revenus ; ce déficit dût-il durer deux ou trois ans, ils se promirent de le faire payer cher à M. le comte, et se réjouirent de voir les habitans de Fougères contracter des habitudes de filouterie qu’il ne leur serait pas facile désormais de perdre et dont leur nouveau seigneur serait la première victime.

Les négociations durèrent quatre ans, et M. de Fougères dut s’estimer heureux de payer sa terre cent mille francs au-dessus de sa valeur. L’avoué Parquet lui écrivit : « Hâtez-vous de les prendre au mot, car si vous tardez un peu, ils en demanderont le double. » Le comte se soumit, et le contrat fut rédigé.