Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
SIMON.

tion de leur famille pour en conquérir une plus élevée. C’est une pitié que de les en voir tous atteints, même les plus médiocres, chez qui l’ambition (déjà si répréhensible dans les grandes ames lorsqu’elle y naît trop vite) devient ridicule et insupportable, n’étant fondée sur aucune prétention légitime. Simon n’était pas de ces génies avortés qui se dévorent du regret de n’avoir pu exister. Il sentait sa force, il savait ce qu’il avait accompli, ce qu’il accomplirait encore. Mais quand ? Toute la question était une question de temps. Il savait bien qu’à l’heure dite il reprendrait la charrue pour tracer dans le roc le pénible sillon de sa vie. Il souffrait par anticipation les douleurs de ce nouveau martyre auquel il savait bien que la mollesse et l’amour grossier de soi-même ne viendraient pas le soustraire. Il souffrait, mais non pas comme la plupart de ceux qui se lamentent de leur impuissance ; il subissait en silence le mal des grandes ames. Il sentait se former en lui un géant, et sa frêle jeunesse pliait sous le poids de cet autre lui-même qui grondait dans son sein.

Il s’appliquait cette métaphore, et souvent lorsqu’au fond d’un ravin, il se jetait avec accablement sur la bruyère, il se disait en lui-même qu’il était comme une femme enceinte, fatiguée de porter le fruit de ses entrailles. Quand donc te produirai-je au jour, dragon ? s’écriait-il dans son délire ; quand donc te lancerai-je devant moi à travers le monde pour m’y frayer une route ? Seras-tu vaste comme mon aspiration, seras-tu étroit comme ma poitrine ? Est-ce la cité, est-ce la souris qui va sortir de ce pénible et long enfantement ?

En attendant cette heure terrible, il s’étendait sur la mousse des collines et à l’ombre des forêts de bouleaux qui serpentent sur les bords pittoresques de la Creuse ; il goûtait parfois quelques heures d’un sommeil agité comme l’onde du torrent et comme le vent de l’orage. Tantôt il marchait avec rapidité pendant tout un jour, tantôt il restait assis sur un rocher, du lever au coucher du soleil. Sa santé périssait, mais son ame ne vivait qu’avec plus d’intensité, et son courage renaissait avec les douleurs physiques qui lui donnaient un aliment.

À ces maux se réunissaient les irritations bilieuses d’un sentiment politique très prononcé. À vingt-deux ans, les sentimens sont des principes, et ces principes-là sont des passions. Simon avait sucé les