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CHANTS DE GUERRE DE LA SUISSE.

vers bien harmonieux, mais de raconter dans tous ses détails l’histoire d’une guerre, et de citer les noms de ceux qui se sont distingués. Aussi ne cherchez pas dans leurs œuvres ce travail d’esprit qui brille ailleurs dans la poésie artistique, ou ces effets puissans d’imagination qui abondent dans les chants du nord, dans les légendes d’Allemagne, et le Kampeviser danois. Ce sont des pâtres, des paysans qui ont quitté le soc de la charrue pour prendre la lance et l’épée, et qui se reposent de leurs fatigues de guerre, en racontant ce qu’ils ont vu. Les métaphores poétiques, les images sont rares dans leurs chants. Tout ce qu’ils osent se permettre, c’est de faire du duc Léopold un lion ; de Berne, un ours indompté[1] et de représenter la Suisse sous la figure d’un taureau intrépide. Ils appellent Hagenbach, leur ennemi, un sanglier, et s’écrient qu’ils ne veulent pas lui obéir comme des animaux apprivoisés. Vous ne trouveriez, du reste, dans leurs chants ni trace d’érudition, ni souvenir mythologique. Ils ont la foi du christianisme, et ils invoquent Dieu et la Vierge Marie.

Je ne connais rien qui ressemble mieux au romancero espagnol pour la simplicité du récit et les détails de faits et de dates. Quelquefois le poète commence ainsi que nos anciens trouvères[2] par une allocution aux auditeurs ou une invocation à Dieu :

« Écoutez la nouvelle que je viens vous apprendre. »

« Écoutez l’histoire terrible que l’on raconte dans le pays. »

« Je veux vous chanter une chanson, une chanson toute nouvelle. »

« Au nom de Dieu, ainsi soit-il, au nom de Marie, je commence mon chant. »

« Je vais vous conter tout ce que j’ai appris de plus curieux. Je chante avec joie, et je prie la Vierge Marie et son fils de venir à mon secours. »

« Au nom de Dieu, je vais vous dire un chant tout nouveau ; au nom de la passion du Christ qui nous a rachetés du péché, puisse le Seigneur nous protéger[3] ! »

Puis le poète entonne son chant de bataille, et, comme les auteurs du romancero[4], il n’oublie pas d’indiquer la date précise :

  1. La première métaphore provient sans doute de ce que Léopold portait l’ordre du Lion ; la seconde est empruntée aux armes de Berne.
  2. De la Rue, Essais historiques sur les Bardes, les Jongleurs, les Trouvères, tom. i.
  3. Débuts de diverses chansons des xiiie, xive, xve siècles.
  4. Andados treinta y seis annos,
    Del Rey don Alfonso et casto ;
    En la era de acho cientos
    Y cincuenta y tres hentrado.

    Depping, p. 21.