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DES GRANDES ÉPIDÉMIES.

C’est une question curieuse, mais difficile à examiner, que de savoir si, à mesure que la civilisation avance et se perfectionne, les maladies se multiplient et se compliquent. Bien des points sont à distinguer avant que l’on puisse répondre directement.

D’abord, quand on jette les regards sur l’origine des sociétés, les plus anciens monumens nous les montrent établies, avec une civilisation très avancée, dans l’Égypte et dans l’Inde ; c’est de ces deux sources que sont sortis tous les ruisseaux qui, allant tantôt en se rétrécissant, tantôt en s’augmentant, présentent cependant de nos jours un flot de civilisation plus considérable qu’aux premiers temps où, pour nous, l’histoire commence. Il serait impossible de refaire l’histoire médicale de ces anciennes sociétés de l’Égypte et de l’Inde ; d’ailleurs, une culture très perfectionnée les rendait en beaucoup de points fort semblables à nous. C’est autre part qu’il faut prendre nos termes de comparaison.

Il s’agit de considérer dans l’antiquité les Germains, les Gaulois, les peuplades scythes répandues en Europe et en Asie, et, de nos jours, les sauvages de l’Amérique, des archipels de l’Océan Pacifique et de l’Australie. Ces peuples furent ou sont encore plus près que nous de ce que l’on appelle l’état de nature, s’il est vrai que l’état de nature soit cette condition chétive et errante de l’homme sans industrie, sans art et sans science.

Or, pour formuler en peu de mots l’état hygiénique de ces peuples par comparaison avec le nôtre, il faut reconnaître, en laissant de côté le calcul exact du nombre des malades, impossible à établir, qu’ils ont non seulement moins de ressources contre les maux qui assaillent l’espèce humaine, mais aussi moins de force de résistance en eux-mêmes contre les influences morbifiques, quand ils viennent à y être exposés.

Toute l’antiquité a reconnu que le Germain et le Gaulois, pleins d’impétuosité et d’ardeur, ne savaient résister ni à la fatigue, ni au travail, ni à la chaleur, tandis que le soldat romain l’emportait notablement, par ces qualités physiques, sur l’homme grand et blond de la Gaule et de la Germanie. De nos jours, la même chose a été constatée d’une manière différente ; c’est que la force musculaire des hommes civilisés, estimée par le dynamomètre, est notablement supérieure à celle des sauvages de l’Amérique. Volney avait été frappé de voir beaucoup de sauvages des États-Unis en proie au rhumatisme ; et Hippocrate, qui avait étendu ses voyages dans la Scythie, fait les mêmes remarques touchant ces hordes qui, de son temps, vivaient à cheval et dans des charriots. Le père de la médecine a fondé à ce sujet la doctrine de l’influence des climats sur le naturel des hommes, doctrine qui paraît d’autant plus plausible qu’on se rapproche davantage de l’origine des