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SIMON.

— Exactement comme vous dites, ma cousine, vous avez une vue excellente pour discerner tout l’attirail presbytérien de M. Féline. Je crois que pour vous plaire, nous serons obligés de l’emmener avec nous. Il pourra servir d’aumônier à notre petite armée.

— Ne plaisantez pas sur Simon Féline, cousin Ruggier, répondit Fiamma d’un ton ferme et grave. C’est un homme qui vaudrait à lui seul plus que nous tous ensemble, et s’il avait un rôle de prêtre à jouer parmi nous, sachez qu’il aurait plus d’ame, plus de génie et plus d’éloquence que saint Bernard, pour prêcher les nouvelles croisades contre la tyrannie et pour en montrer le chemin. Mais pourquoi s’en va-t-il, et sans nous avoir prévenus ? ajouta-t-elle avec beaucoup de préoccupation, et comme se parlant à elle-même.

Elle tomba dans une rêverie profonde, et son cheval qu’elle faisait bondir comme un chevreuil quelques instans auparavant, obéissant à l’impulsion de son bras calme et détendu, se mit à suivre au pas le sentier. Ruggier étonné la vit se pencher devant une roche que baignait l’eau du torrent. C’est là qu’elle s’était assise avec Simon, lorsqu’il avait lavé lui-même le sang de son visage, alors que le torrent, desséché par l’été, n’était qu’un paisible ruisseau. À la vive exaltation qu’elle venait d’éprouver, succédèrent des pensées d’un autre genre, et des larmes qu’elle ne put retenir mouillèrent sa paupière. Alors elle laissa tomber tout-à-fait de ses mains la bride de Sauvage, et le docile animal, obéissant à toutes ses impressions, s’arrêta.

— Adieu, Italie ! dit-elle d’une voix étouffée. C’en est fait ! tu viens de recevoir le dernier élan de mon cœur, la dernière étreinte de mon amoureuse ambition. Montagnes sublimes, patrie bien-aimée, terre poétique, nous ne nous reverrons plus ; c’est ici que je suis enchaînée ; ce rocher abritera mes os.

— Ne vous désespérez pas ainsi, ma vie, mon bien ! s’écria le marquis avec feu, vous me déchirez l’ame. Eh quoi ! le courage vous manque-t-il au moment d’accomplir le vœu de toute votre vie ? ne suis-je pas à vos pieds ? ne comprenez-vous pas que mon ame tout entière…

— C’est vous qui ne me comprenez pas, ami Ruggier, interrompit Fiamma, et puisque vous avez surpris le secret de mes pensées, puisque vous avez vu quelle puissance une ambition enthousiaste et