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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

supérieur à M. Martinez de la Rosa en tant que capacité administrative et tête politique, M. de Toreno n’est pas plus que lui un ministre de révolution. Tel qu’il est, il n’en est pas moins un des hommes les plus remarquables d’Espagne ; c’est une justice que nous nous plaisons à lui rendre. Il a l’esprit net et le sens des affaires, et, ce qui est plus rare au-delà des Pyrénées, il a de l’ordre et de la méthode. C’est, de tous les ministres, celui avec lequel les ambassadeurs aimaient le mieux à traiter, comme il est, de tous les Espagnols, celui que les étrangers fréquentent le plus volontiers.

On lui a reproché de n’avoir pas eu dans le choix des fonctionnaires la main plus heureuse que son prédécesseur, qui ne l’eut guère ; il serait difficile d’absoudre entièrement M. de Toreno de cette accusation ; mais, s’il a péché, ce n’est point par calculs, c’est encore par insouciance, par un laisser-aller trop mondain.

Ses opérations financières ont excité de grandes clameurs ; il passe, par exemple, pour avoir adjugé l’emprunt à des conditions onéreuses pour l’état ; à cela nous répondrons que la nécessité lui a forcé la main ; personne en Europe n’a voulu prêter à de meilleures conditions ; celles de M. Ardoin étaient les moins dures de toutes celles qui furent proposées.

M. de Toreno est un des premiers orateurs de la chambre ; sa manière n’est ni celle de M. Martinez, ni celle de M. Galiano ; il est plutôt dialecticien qu’éloquent dans l’acception rigoureuse du mot ; il discute plus qu’il ne persuade ; il convainc plus qu’il n’entraîne. Il ne surprend pas, il prouve. Le mot propre lui vient toujours ; sa parole est élégante et concise, spirituelle et facile ; il se possède, il ne dit que ce qu’il veut dire. Si on le fâche, il devient ironique et acerbe ; poussé à bout, sa langue a des coups de poignard. Si nous avions à nous résumer dans un mot, nous dirions qu’il est l’orateur gouvernemental de l’Espagne.

Mais toutes ces qualités, tous ces talens divers ne suffisent pas au premier ministre d’une révolution ; ils pouvaient retarder tout au plus d’un jour la chute de M. de Toreno, ils ne pouvaient l’empêcher. Voici que nous touchons au dénouement. Le signal partit de Saragosse le 6 juillet ; il y eut une émeute populaire dirigée contre les couvens ; des moines furent massacrés ; la milice urbaine intervint, non pour comprimer le mouvement, mais pour s’en em-