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à une joie comme celle que j’éprouve ? Laisse-moi me mettre à genoux devant toi, et baiser l’herbe que foule ton pied. Ô Fiamma ! c’est ici que je t’ai vue pour la première fois. Le soleil se couchait dans toute sa magnificence ; il t’embrasait de sa beauté, il t’inondait de ses reflets ardens. Tu étais si belle que tu me fis peur. Je ne croyais point aux anges ; je te pris pour un démon. J’étais si troublé que je te vis à peine. Un nuage t’enveloppait, et tes yeux seuls t’illuminaient de leurs éclairs. Il me sembla ensuite que je ne te voyais pas pour la première fois, que je t’avais déjà vue quelque part, dans mes rêves peut-être. Souvenir de la tombe, ou révélation de l’autre vie, tu étais ma sœur. J’avais ce type de grandeur et de beauté devant les yeux depuis que je songeais à la beauté et à la grandeur. Et cependant tu m’épouvantais par l’air d’autorité surhumaine avec lequel tu semblais me dire : Je suis ton maître et ton Dieu ; mets-toi à genoux et commence à m’adorer, car c’est ta destinée. Mais quand je te rencontrai ensuite couverte de ce sang que j’ai encore sur les lèvres, je tombai à tes pieds, je te rendis hommage sans hésiter, sans comprendre ce que je faisais. Ô Fiamma ! si tu savais quel amour furieux cette goutte de ton sang m’a inoculé !

Ils auraient oublié la marche des heures, sans un incident que le hasard, toujours poétique en faveur des amans, fit naître au milieu de leur entretien passionné. L’oiseau de nuit qui faisait sa ronde autour des ruines, apercevant les premières clartés du soleil, s’envola épouvanté vers la tour qui lui servait de retraite. Ses yeux myopes, déjà troublés par l’éclat du jour, ne distinguèrent pas le couple assis au pied de sa demeure, et il effleura leurs fronts de son aile, en poussant un long cri d’alarme.

— C’est la Duchesse ! dit Simon en se levant, c’est son dernier cri du matin ; c’est l’heure et le jour où l’abbé Féline, le vénérable frère de ma mère, a rendu son ame au Seigneur. Fiamma, tous les hommes ont coutume de se glorifier du mérite de leurs ancêtres ou de leurs parens. Ce n’est pas là un préjugé, je le sens à la force morale et aux sentimens religieux que j’ai tirés toute ma vie du souvenir de ce bon prêtre. C’est là l’humble gloire de mon humble famille. Je l’ai invoquée toutes les fois que mes maux ont ébranlé mon courage, et que j’ai craint d’offenser son ombre sacrée, toujours debout entre moi et l’attrait du mal. Jamais je n’ai laissé écouler cette heure solennelle sans me prosterner chaque année,