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il s’y mêlait une idée de devoir chrétien, d’obligation religieuse envers soi et envers Dieu. La religion préservait les femmes de la corruption de la science.

Aux conseils littéraires, Morus ajoutait le plus souvent des exhortations à l’humilité chrétienne. Il faisait la guerre à toutes les petites vanités, soit des gendres, soit de leurs femmes, soit de Mme Alice, soit de son fils Jean ; il raillait les vêtemens trop serrés, les prétentions à une taille fine, « les cheveux relevés en l’air pour se donner un grand front, » ridicule qui ne date pas d’aujourd’hui, les chaussures étroites pour faire ressortir la petitesse du pied ; et il disait que Dieu leur ferait injustice s’il ne les envoyait pas en enfer, car ils mettaient bien plus de soins à plaire au monde et au diable que les personnes vraiment pieuses n’en mettent à se rendre agréables à Dieu. Craignant que sa haute position dans l’état, ses places, ses honneurs, n’étourdissent ses enfans, il leur prêchait sans cesse le mépris de l’or et de l’argent, et de ne pas se croire meilleurs que ceux qui en avaient moins qu’eux, ni moins bons que ceux qui en avaient plus ; « d’éviter tous les gouffres et tous les abîmes de l’orgueil, mais de passer par les douces prairies de la modestie, » et de regarder la vertu comme le principal bonheur.

La maison était réglée sur ce pied. La religion se mêlait à tous les travaux et à tous les plaisirs. Après le souper, pendant lequel on faisait une lecture édifiante, et avant qu’on se mît à la musique, qui était l’amusement de la veillée, il parlait aux siens de choses de piété, et leur recommandait le soin de leurs ames. Dans la journée, chacun était occupé d’une façon ou de l’autre, mais toujours d’une façon utile. Jamais on ne jouait, contre la coutume de l’époque. Pour les maîtres comme pour les domestiques, séparation des hommes et des femmes. On ne se mêlait qu’aux heures des repas, pour la prière, pour la lecture de piété, sous l’œil du chef de famille, les jours qu’il était à Chelsea. La maison de Morus avait pris peu à peu l’air d’un couvent. À mesure qu’il s’élevait dans les honneurs son esprit reculait vers la religion austère de sa jeunesse. L’humilité augmentait à chaque degré de plus, comme un correctif de la fortune. Sa prospérité lui faisait peur ; les faveurs l’épouvantaient comme autant de tentations et de piéges, et il n’engageait dans les affaires que ses talens, réservant sa conscience à Dieu. Soit