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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

ouvrant facilement et pour toujours les grandes et limpides sources primitives. M. Villemain, dans ses appréciations des écrivains et des poètes, remarque souvent, et il en a le droit plus que personne, l’importance durable de ces jeunes et antiques études, de ces études qu’avaient, en se jouant, Racine et Fénelon, qui eussent si bien contenu et affermi le beau génie de Lamartine, que M. de Châteaubriand se donna à force de vouloir, mais que si peu ont le courage ou la ressource de réparer, et que doivent regretter avec larmes ceux qui en chérissent le sentiment et à qui elles ont fait faute. Racine, dans la prairie de Port-Royal, lisait et savait par cœur Théagène en grec, comme nous écoliers, aux heures printanières, nous lisions Estelle et Numa ; mais, le livre jeté ou confisqué, il lui restait de plus le grec qu’il savait à toujours, l’accès direct et perpétuel d’Euripide et de Pindare.

Le jeune Villemain, indépendamment de ses exercices à la pension de M. Planche, suivait les cours du Lycée impérial (Louis-le-Grand) ; il y rencontra, pour professeur de rhétorique latine M. Castel, et de réthorique française Luce de Lancival, deux universitaires qui passaient pour poètes, deux maîtres du moins assez fleuris et assez mondains, dégagés de la vieille rouille. Lui-même, son cours d’études étant terminé avec éclat, sans prix d’honneur pourtant, (en quoi ses camarades disaient qu’on l’avait triché), il donna des leçons au Lycée impérial, tandis que d’ailleurs il entamait le Droit avec zèle et facilité, comme toutes choses. La connaissance qu’il en prit dès-lors ne lui fut pas inutile plus tard dans les discussions de lois et d’affaires auxquelles il fut mêlé. Mais l’université et la littérature l’attirèrent bien vite et se l’approprièrent. Ayant eu occasion de voir chez M. Luce M. Desrenaudes, et par suite de connaître M. Roger et M. de Fontanes, ce dernier lui donna une chaire de rhétorique à Charlemagne. Un petit discours, prononcé sur la tombe de Luce, fit admirer chez le naissant orateur le talent de bien dire, dont alors les moindres témoignages dans le silence de la presse et de la tribune, étaient si curieusement relevés et sentis. Comme écrivain, il allait s’annoncer à tous. L’Éloge de Montaigne, écrit en huit jours par ce jeune homme de vingt ans et couronné par l’Académie dans un concours auquel prenait part le redoutable Victorin Fabre, en possession jusque-là assurée du triomphe, fut un évènement littéraire très vif. Parmi