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THOMAS MORUS.

partie après la chancellerie de Morus. Mais c’est par des confusions déplorables de toutes choses, confusion de deux ordres de justices, confusion des époques, confusion des noms, confusion des dates, qu’on a pu charger sa mémoire de supplices où il n’avait pris part, ni dans l’ordre spirituel, ni dans l’ordre temporel, ni de son chef, ni comme exécuteur des jugemens de la justice ecclésiastique. Non, le chancelier Morus n’a pas tué ! Non, celui à qui l’opinion, les lois, les exemples plus forts que les lois, la foi la plus ardente et la plus pure d’arrière-pensées humaines, une conscience de saint, auraient pu rendre si facile et si légère la responsabilité d’un meurtre juridique, non, celui-là n’a pas commis de meurtre ! Thomas Morus n’a pas tiré l’épée dont il devait être frappé !

Écoutez-le se justifier lui-même dans ce singulier récit, où il se montre dans tout son caractère, noble, ironique, bouffon même, avouant ses duretés comme un homme bon que les opinions, les temps, les circonstances ont endurci, mais qui sent bien qu’il a moins fait que ce qu’il lui était permis et légitime de faire, se livrant naïvement sur plusieurs points, s’accusant là où il croit s’absoudre, se confessant gaiement de choses que la moralité plus douce ou plus relâchée des temps modernes nous a fait trouver cruelles ; et, jusque dans le désaveu qui doit réhabiliter sa mémoire, montrant l’imprudence naïve d’un homme dont le sens moral s’appuyait sur la conscience universelle de son époque, qui ne voyait pas de crime à mettre à mort des hérétiques, mais qui ne voulait pas qu’on le chargeât de ce qu’il n’avait pas fait, et se disculpait de rigueurs qu’il avait approuvées dans d’autres, simplement pour rendre hommage à la vérité, non pour se mettre en règle avec le point de vue de Voltaire, de Hume et Mackintosh. L’histoire du xvie siècle n’a pas de pièce plus curieuse que le fragment qu’on va lire, et si je dis que la découverte de ce fragment m’a pendant quelques jours rendu heureux comme d’un bonheur de famille, on me comprendra et on m’enviera ma chance. Il est tiré de l’Apologie de Morus, ouvrage que personne n’avait fouillé jusqu’au bout, parce que le titre trompe, et qu’on n’y rencontre que des choses qu’on n’y voulait point voir, c’est-à-dire d’insipides récapitulations des opinions religieuses de Morus[1]. C’est au dernier quart des deux cents colonnes in-folio de l’Apologie qu’on lit ce qui suit :

  1. Le temps que j’aurais mis à rendre agréable ce récit, à la fois triste et si