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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

en passant par Florence et Paris, peut n’être pas d’un voyageur fort expérimenté ; mais c’est à coup sûr d’un homme de beaucoup d’esprit.

Lorsque le Crociato parut pour la première fois, M. Meyerbeer était parfaitement ignoré du public, et connu seulement de quelques personnes curieuses de musique nouvelle, par des fragmens de ses nombreuses partitions italiennes ; car je ne sache pas qu’aucune eût été encore exécutée avec succès. La première représentation fut l’occasion d’un beau triomphe pour le jeune musicien ; l’enthousiasme fut tel, qu’il dépassa de bien loin ses espérances. On admira beaucoup le style grave et solennel de l’introduction, le chœur des hommes au second acte, l’andante de l’air de Mme Pasta, Ah ! sempre piangere, belle et touchante phrase, qui rachète, à mon sens, l’extravagante cabalette qui suit. Dès-lors, le public adopta le nom de M. Meyerbeer. La représentation du Crociato fut pour lui ce qu’a depuis été pour Bellini la soirée des Puritains. Seulement, M. Meyerbeer a marché depuis, et Bellini s’est arrêté là. Qui sait ? si la mort n’y eût mis empêchement, les deux rivaux du Théâtre-Italien se seraient rencontrés un jour sur la vaste scène de l’Opéra. Quoi qu’il en soit, la partition du Crociato restera comme une des plus heureuses tentatives dans le genre italien, et peut-être aussi comme la plus mélodieuse entre toutes celles que M. Meyerbeer a écrites jusqu’ici.

Cependant le nom de Weber courait dans toutes les bouches, et Freyschütz étonnait l’Europe par l’originalité de sa mélodie, la franchise et la hardiesse de son allure, l’indépendance de ses formes. On ne peut penser à l’explosion miraculeuse que produisit le Freyschütz en France, sans se rappeler l’effet des drames de Shakspeare représentés à peu près vers la même époque, par les comédiens anglais. Des deux parts l’étonnement et l’épouvante précéderont l’admiration ; on était habitué aux gracieuses cantilènes de Paisiello, et l’on entendait cette harmonie inculte et sauvage ; on était habitué aux émotions si paisibles du grand art de Racine, et l’on assistait à ces passions impétueuses du More, à ces apparitions du père d’Hamlet, à ces sanglantes orgies de Macbeth. Je passe sur la question littéraire. On commença par se méfier de la musique de Weber, comme on le fait de toute grande chose dont l’œil ne mesure pas d’abord les profondeurs. Cependant on revint, et le