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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

que de franchise et d’originalité ; ce n’est que vers la fin, lorsque les trois personnages, émus d’un même enthousiasme, entonnent à l’unisson le chant choral de Luther, que l’effet devient beau, grandiose, irrésistible. Jamais aussi M. Meyerbeer n’a été plus noblement inspiré que le jour où cette pensée lui est venue à l’esprit : que trois êtres unis par les liens sacrés de la foi et du dévouement, sans autre force que leur vertu, sans autre puissance que cette majesté dont l’homme courageux s’entoure comme d’un rempart aux approches de la mort, pouvaient, en entonnant le cantique divin, faire reculer dans les ténèbres ceux qui ont des épées et des flambeaux. Le vice capital de ce trio réside dans la multiplicité des effets que le musicien a accumulés à l’entour, et qui se disputent l’attention le plus bruyamment qu’ils le peuvent. Qu’est-ce donc qu’un trio ? il faudrait cependant s’entendre sur cette question. On a, jusqu’à présent, appelé trio un morceau de musique dans lequel trois passions amies ou rivales sont en jeu. Un trio est un drame qui commence, se développe et se conclut dans la musique : je prends à témoin le trio de Robert-le-Diable. Or, cette fois, les choses ne se passent point de la sorte ; les personnages, loin d’agir, sont complètement subordonnés à l’action du dehors. La musique extérieure les écrase, ce n’est pas eux qu’on écoute ; mais le chœur des protestans, mais le clairon des catholiques, mais les sept harpes qui divaguent dans l’orchestre. On dirait trois points lumineux perdus dans l’immensité de l’harmonie ; or c’est là, de la part du maître, une imprudence grave. Si vous voulez faire briller trois lampes, vous n’irez pas les poser au milieu d’une fournaise ardente.

Maintenant un mot du poème. On ne peut s’imaginer combien de lieux communs de toute espèce, de non-sens historiques, l’auteur a, de sang-froid, entassés dans cette œuvre. Le poète, à qui nul point de philosophie ou d’histoire ne demeure étranger, a traité la question de la réforme comme, dans les livrets de Robert-le-Diable et de la Juive, il avait traité jadis la question catholique, c’est-à-dire en théologien consommé, en homme qui voit, de haut, et dont les premiers regards découvrent les plus mystérieuses relations des choses ! Ces idées nouvelles vont bouleverser étrangement bien des théories que l’histoire s’était faites à l’égard de la Saint-Barthélemy. Jusqu’ici, on avait considéré le fait de la Saint-Barthélemy comme l’acte terrible d’une politique poussée à bout par des tracasseries