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cherche à sortir de la caverne et trouve l’épée du roi Siegfried. Alors il s’élance bravement contre les petits du dragon, et les massacre l’un après l’autre. Au bruit de leurs gémissemens, le serpent s’éveille, et en apercevant entre les mains de son ennemi le glaive enchanté, il a peur, et le conjure de lui laisser la vie. Mais Dietrich, après lui avoir fait avouer où sont ses trésors, lui plonge son épée dans le flanc, puis il sort et monte en triomphe sur le dos du lion qui l’attendait à la porte[1].

Ce qui reparaît à tout instant dans ces traditions du Nord, c’est un esprit de vengeance farouche, impitoyable, qui tourmente éternellement le cœur et ne s’apaise qu’avec du sang. Une jeune fille vient poignarder au milieu de la nuit l’amant qui l’a trompée ; une reine empoisonne la femme qui la rend jalouse ; deux sœurs empruntent des vêtemens de chevalier, une armure, et s’en vont venger la mort de leur père. Elles tuent l’homme qui l’a tué et le coupent en morceaux. La ballade ajoute qu’elles pleurèrent beaucoup lorsqu’il fallut ensuite aller se confesser. L’exemple le plus terrible de cette colère implacable se trouve dans la ballade de Vonved. C’est là un autre Hamlet, mais un Hamlet cent fois plus irrité, plus mécontent de lui, plus malheureux que celui que nous connaissons. Sa mère l’engage à s’en aller venger la mort de son père. Il part, et tue tout ce qu’il rencontre, les pères avec leurs fils, les chevaliers avec leurs compagnons d’élite. Quand il ne voit plus personne à tuer, il donne un anneau d’or à un berger, afin de lui indiquer la forteresse, où il trouverait des hommes d’armes dignes de lui. Il entre de vive force dans le château, et tue ceux qui voudraient l’arrêter. Puis il revient chez lui, et dans la rage qui le possède, il tue sa propre mère et brise son luth, afin de n’avoir plus rien qui puisse adoucir ses accès de fureur.

Toutes les pièces du recueil ne présentent cependant pas ce triste dénouement. Il y en a de tendres et de gracieuses comme celle-ci.


« La mère de la petite Christel est occupée à coudre, mais des larmes coulent sur le visage de sa fille.

— Ma petite Christel, mon enfant chéri, dis-moi, pourquoi ton visage est-il défait ? pourquoi ta joue est-elle pâle ?

— Il n’est pas étonnant que je sois pâle et défaite, j’ai tant à couper et à coudre.

— Il y a pourtant dans la ville, de jeunes filles plus belles que toi, et qui travaillent mieux que toi.

  1. Il y a dans le poème de Ferdussi, dans le Sha-nameh, un combat de Rustan avec un dragon, qui a beaucoup d’analogie avec celui-ci.