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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

public des poètes, encore plus que pour la suivre. Non, l’auteur de Michaël, ou du Vieux Mendiant du Cumberland (pour prendre au hasard de courts et enchanteurs poèmes), n’est pas inférieur à Byron en génie simple, en peinture naturelle et profonde, comme il l’est en gloire. Non, dans les arts, dans la poésie, non plus qu’en diverses matières humaines, le succès n’est pas la bonne mesure, et l’applaudissement soudain, décerné à bon droit à quelques-uns, ne prouve pas contre la lutte ou l’isolement prolongé de quelques autres. Les beaux-arts et la poésie, dans toute une partie essentielle, sont et doivent être des industries singulières et par un coin secrètes, des initiations, à certains égards, d’esprits merveilleux, des savoir-faire dédaliens, où n’atteint pas le grand nombre, mais à quoi il finit par croire, sur la foi de son impression sans doute, mais de son impression dirigée et quelquefois créée par les critiques et connaisseurs. À cela M. Villemain, entre autres raisons plausibles, aura à répondre que de telles distinctions, en les supposant quelque peu vraies, sont du cabinet et de l’atelier bien plus que de la large scène de l’enseignement, et qu’elles s’adaptent mal au point de vue de la critique distribuable à tous et de l’amphithéâtre.

J’en finis avec ces chicanes qui ne portent, on le voit, que sur des détails très secondaires dans le développement et l’œuvre si riche de M. Villemain. À qui conviendrait-il mieux d’en reconnaître l’influence et le profit, qu’à nous en particulier, qui de plus, dans notre faible rôle, l’avons rencontré toujours si ami, si indulgent ? Combien de fois, au temps même de ces cours nourrissans où nous nous rafraîchissions avec toute la jeunesse, vers 1829, encore émus de sa parole que nous venions de quitter si éloquente, ne l’avons-nous pas retrouvé, esprit tout divers et inépuisable de grace dans des causeries nouvelles ? J’ai souvenir de quelques promenades d’alors et de bien des discours sensés, fleuris, mélancoliques un peu, car il était triste, par ses yeux souffrans encore, par les désirs contrariés d’un bonheur qu’il a depuis trouvé dans le mariage, par les circonstances publiques enfin. Ce n’était ni verve ni saillie éblouissante, mais quelque chose de plus doux ; une pensée perpétuelle sans effort, de l’animation sans fumée ni flamme, la proportion juste des idées, chaque objet saisi à son point et avec